Cour de cassation : Bilan 2014

lundi 6 juillet 2015, par les cahiers d’alter
dimanche 16 août 2015
par  SUD Éduc

Cour de cassation : Bilan 2014

lundi 6 juillet 2015, par les cahiers d’alter
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Dossier. Les cahiers d’alter n°86

La Cour de cassation a publié le 29 juin son habituel rapport annuel. Celui de l’année 2014 ne déroge pas à la règle : statistiques, décisions clés, suggestions de modifications législatives visant notamment à intégrer la jurisprudence de la haute juridiction dans le Code du travail, ou encore les arrêts marquants. Les Cahiers d’alter vous proposent une synthèse commentée de l’année 2014. Elle fut aussi celle de l’arrivée d’un nouveau président, Bertrand Louvel, qui a ouvert plusieurs chantiers de réflexions, comme l’évolution de la motivation des arrêts.

Dans les équipes syndicales, la Cour de cassation reste parfois un mythe dû a une incompréhension de son rôle à la fois « technique » et judiciaire, mais également « politique » - car loin d’être neutre. Pour examiner le rapport annuel de la juridiction « suprême », encore faut-il en comprendre le sens. Si la juridiction la plus élevée de l’ordre judiciaire est souvent citée concernant des « arrêts » qu’elle a rendus, il faut rappeler qu’elle examine en droit et non en fait : soit les décisions prononcées en dernier ressort par les juridictions du premier degré ou par les Cours d’appel, lorsque ces décisions font l’objet d’un recours, que l’on appelle pourvoi. L’article L.411-2 du Code de l’organisation judiciaire vient rappeler très précisément que « la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf disposition législative contraire ». Elle ne « rejuge » pas les affaires, mais elle doit dire si les règles du droit ont été correctement appliquées, en fonction des faits qui ont été constatés et appréciés par les tribunaux ou les Cours d’appel, et qu’il n’est plus possible de discuter devant la Cour de cassation. Elle se prononce ainsi sur les décision concernant les litiges et non sur ces derniers en tant que tels ; elle assure en conséquence l’unité du droit dans la République. Dans le cas où elle considère que la décision contestée résulte d’une bonne application du droit, elle rejettera le pourvoi. Inversement, elle le cassera (partiellement ou totalement) et annulera ainsi la décision ; dans le grande majorité des cas, elle ne « rejugera » pas elle-même l’affaire mais la renverra à la juridiction du fond. Enfin, elle peut émettre des avis à la demande des autre juridictions. Composée de six chambres (dont la fameuse « chambre sociale ») , la Cour de cassation peut être réunie en formation restreinte ou en formation de section. D’autres formations, de caractère non permanent, existent également : assemblée plénière, chambre mixtes. Ces compositions dépendant de la question soumise (et des divergences d’interprétation) mais aussi de l’enjeu. Celle qui « dit le droit » et peut le faire évoluer (et opérer des retournements de jurisprudence) restera dans la plupart des cas l’institution qui garantit à la classe dominante le respect du droit bourgeois et de ses intérêts de classe, quand bien même le droit du travail se confond avec le droit ouvrier.

L’activité 2014

Globalement en augmentation, l’activité juridictionnelle de la Cour de cassation enregistre 29.706 nouvelles affaires, soit une hausse de 4,97% par rapport à l’année précédente, pour 28.684 dossiers jugés (-0,12%). Les délais moyens de jugement ont de 387 jours en matière civile et 166 jours en matière pénale. Le rapport vient préciser une nuance importante concernant la durée moyenne d’un arrêt rendu par la chambre sociale : il est de 504 jours, soit 22 jours de plus qu’en 2013. Le nombre d’arrêts rendus est en hausse, passant de 3.214 en 2013 à 3.437 en 2014. Près de 31,46 % sont des arrêts de cassation, 6,67 % des cassations sans renvoi, 28,95 % des arrêts de rejet, et 32,92 % font l’objet d’une non ­admission.
310 arrêts ont fait l’objet d’une décision de publication (stable par rapport à 2013) pour souligner l’importance de solutions jurisprudentielles nouvelles ou confirmer des orientations déjà acquises, mais méritant un rappel périodique.

Des arrêts commentés...

En matière de droit social, plusieurs arrêts ont marqué l’année :
- Deux arrêts des 19 février et 17 décembre 2014 posant pour principe que tout salarié d’une entreprise d’au moins 50 salariés doit pouvoir relever d’un CHSCT, quelque soit l’effectif de l’établissement qui l’emploie (Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-12.207 ; Cass. soc., 17 décembre 2014, n° 14-60.165 ;).
- Un arrêt du 15 octobre 2014 jugeant que la rupture du contrat de travail du commun accord des parties ne peut, sauf exceptions prévues par les textes, s’inscrire que dans le cadre de la rupture conventionnelle de l’article L. 1237-11 du Code du travail (Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251) ;
- Une série d’arrêts du 19 février 2014 portant sur les conséquences d’une modification de la situation juridique de l’entreprise sur la représentativité syndicale (Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-14.608, 13-20.069, 12-29.354, 13-17.445, 13-16.750) ; réunie en chambre mixte, la Cour de cassation a également eu l’occasion de se prononcer sur le paiement des heures de délégation prises pendant un arrêt de travail (Cass. ch. mixte., 21 mars 2014, n° 12-20.002 et 12-20.003 ;).

... et le cas de Babyloup

Un dernier arrêt remarqué, qui dépasse de loin la sphère du droit du travail et renvoie aux débats importants sur la question de la laïcité - revenue en force au coeur des discussions et débats ces derniers mois : la fameuse affaire « Baby-Loup », du nom de la crèche qui procéda au licenciement d’une salariée ayant décidé du jour au lendemain de porter un signe religieux ostentatoire (cela doublé d’un comportement agressif) malgré l’interdiction du règlement intérieur, qui prévoyait que « les principes de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peuvent pas faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité ».
L’arrêt de l’Assemblée plénière du 25 juin (notamment après la résistance de la Cour d’appel), portant sur les restrictions à la liberté d’un salarié de manifester ses convictions religieuses sur son lieu de travail, a été largement commenté (Cass. ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369). Sous le feu des critiques, cet arrêt n’a pas résolu la question globale dans toutes les entreprises de la pratique religieuse ni celle de la laïcité ; il a répondu à une situation donnée en étant néanmoins sans équivoque. En approuvant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris confirmant le licenciement, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a heureusement clos une affaire vieille de 6 ans. Au moins dans l’ordre juridique français, car la salariée déboutée a annoncé qu’elle saisirait la Cour européenne des droits de l’homme, cette fois contre l’État français : cet acharnement prouve le caractère concerté d’une opération qui dépassait de beaucoup un conflit du travail et consistait bien à « tester les résistances ». Cet arrêt rassurera les nombreuses associations à caractère laïque, qui œuvrent non seulement dans le domaine de la petite enfance, mais dans les secteurs éducatifs, sportifs, de loisirs, sanitaires, sociaux, etc. Il est ainsi licite de prévoir une clause de neutralité religieuse dans le règlement intérieur d’une association ou d’une entreprise, si celle-ci est « justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ». Or, en l’état actuel du droit français, seules les convictions religieuses, politiques ou syndicales sont protégées par le Code du travail ! La nécessité de légiférer semble donc toujours là (bien qu’il faille un débat avant et réfléchir sur les conditions de l’harmonisation), quoiqu’en dise l’Observatoire de la laïcité : non seulement pour mettre le Code du travail en conformité avec le principe constitutionnel de liberté de conscience, mais pour éviter la multiplication des affaires à régler au « cas par cas ».

Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC)

Depuis le 1er mars 2010, tout justiciable peut, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition législative au moyen d’une QPC, lorsqu’il estime que ce texte porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Pour l’année 2014, la baisse se confirme : 310 QPC enregistrées contre 367 pour 2013. Le taux de renvoi constitutionnel, lui, reste le même en se stabilisant à 13%.
La chambre sociale a renvoyé devant le Conseil constitutionnel deux QPC. Déposées par l’entreprise Sephora, l’une portait sur les conditions de recours au travail de nuit et l’autre sur l’effet suspensif immédiat du recours exercé contre une décision préfectorale autorisant le travail le dimanche. Il faut rappeler que l’entreprise a activement milité pour déréguler le Code du travail dans le commerce et s’est illustrée par une forte répression syndicale contre les représentants SUD Commerces & Services.

Suggestions de réformes

Comme chaque année, le bilan annuel de la Cour de cassation contient également plusieurs suggestions de réformes en application de l’article R.431-10 du code de l’organisation judiciaire, qui prévoit que le premier président et le procureur général peuvent appeler l’attention du garde des sceaux sur les constatations faites par la Cour à l’occasion de l’examen des pourvois. Ils lui font alors part des améliorations qui leur paraissent de nature à remédier aux difficultés constatées. On y retrouve ainsi cette année la proposition d’intégrer dans la loi les exigences jurisprudentielles destinées à garantir la protection de la santé et de la sécurité des salarié-e-s en forfaits-jours. Partant du constat que l’entretien annuel individuel prévu par la loi « est insuffisant pour répondre aux normes constitutionnelles et européennes », le rapport souligne qu’« il serait souhaitable que la loi énonce clairement et précisément que l’accord collectif ou la convention collective (…) doit prévoir des modalités propres à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié concerné demeurent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé et qu’en toute hypothèse, les dispositions relatives au repos quotidien et hebdomadaire sont applicables aux salariés concernés par une convention de forfait en jours ».
La haute juridiction a formulé cinq autres propositions en droit du travail :
- Instaurer une procédure spécifique de demande d’avis pour l’interprétation des accords collectifs et conventions. Celle-ci s’exercerait devant la chambre sociale de la Cour de cassation, contribuant ainsi à unifier la jurisprudence en ce domaine et reprenant la thèse du rapport Lacabarats sur « L’Avenir des juridictions du travail » - proposition reprise par l’article 83 de la loi Macron.
- Prévoir, dans le Code du travail, la sanction indemnitaire applicable en cas de licenciement d’un-e salarié-e protégé-e, prononcé sans qu’aucune autorisation administrative n’ait été sollicitée et en l’absence d’une demande de réintégration. Comme le rappelle la Cour de cassation, la loi ayant simplement envisagé les conséquences de l’annulation d’une autorisation délivrée par l’administration, la jurisprudence s’est vue contrainte à décider le montant de l’indemnisation de la violation du statut protecteur (Cass. avis, 15 décembre 2014, n° 15013 concernant un médecin du travail ; Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-24.182 pour les Délégués du Personnel, )
- étendre au délégué syndical réintégré après l’annulation de l’autorisation de licenciement, la protection complémentaire de six mois accordée aux seul-e-s élu-e-s DP et CE qui ne peuvent réintégrer leur mandat du fait du renouvellement des IRP dans l’intervalle (C. trav., art. L. 2422-2). La jurisprudence est déjà favorable à cette extension (Cass. soc., 16 décembre 2014, n° 13-21.203) et il est demandé qu’elle soit traduite dans la loi.
- Harmoniser le Code du travail et de la sécurité sociale concernant l’inaptitude. Le salarié classé « invalide 2e catégorie » est celui qui, pour l’article L. 341-4 du Code de la sécurité sociale, est « incapable d’exercer une profession quelconque ». Pour la même situation, le Code du travail pose comme condition de la validité du licenciement pour inaptitude, les formalités habituelles : visite de reprise, constat d’inaptitude et justification par l’employeur de l’impossibilité du reclassement dans l’entreprise (C. trav., art. L.1226-9 et L.1226-12). Le rapport insiste et fait remarquer qu’« il y a entre les textes une incohérence que ne suffit pas à justifier l’autonomie du droit du travail et du droit de la sécurité sociale ».
- Harmoniser les dispositions relatives aux conditions de rupture du contrat de travail des assistants maternels. Là encore, entre l’article L. 423-24 du Code de l’action sociale et des familles qui institue un droit de retrait au profit du particulier employeur qui décide de ne plus confier son enfant à l’assistant maternel, et l’article L.423-2 4e alinéa qui renvoie à l’application des dispositions du Code du travail limitant les motifs de rupture anticipée du CDD, la contradiction doit être réglée et le droit évoluer.

Comprendre le droit

Congés payés, temps de travail, Délégué-e-s du Personnel, Comité d’Entreprise, animation d’une grève, droit syndical, procédure de licenciement... Au quotidien, dans l’entreprise, les débats autour du droit du travail sont réguliers.
Pour faire respecter ses droits, il faut les connaitre et les faire connaitre auprès du personnel sans pour autant en devenir un spécialiste, là n’est pas le but. Le droit social, et notamment du travail, est évolutif et change au gré des rapports de force entre les classes dominantes (patronat, gouvernement) et les salarié-e-s. L’Union syndicale Solidaires a publié de nombreuses fiches sur le droit du travail (http://www.solidaires.org/rubrique377.html) ; elles permettent de lier syndicalisme de lutte et défense concrète. Les juridictions de l’ordre judiciaire français, au civil comme au pénal comptent plusieurs degrés. Comprendre le droit du travail, c’est aussi se pencher sur les juridictions compétentes qu’il faut saisir en cas de litiges face à la direction d’entreprise.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel de maitriser les grandes lignes des différentes juridictions auxquelles les militant-e-s syndicaux peuvent être confrontés : Tribunal d’Instance (contentieux électoraux, et notamment les désignations syndicales), Tribunal de Grande Instance (Conflits collectifs, droit syndical, etc.) et les procédures d’appel. On retrouve ainsi dans l’ordre judiciaire la Cour d’appel puis la Cour de cassation - souvent appelée également « la haute juridiction » , bien que cette dernière ne peut pas être qualifiée de « troisième degré ».
De même, et suivant des règles propres, le Conseil de Prud’hommes reste l’une des juridictions les plus utilisées par les équipes syndicales et les salarié-e-s pour faire valoir leurs droits. D’où la nécessité, en cas de procédures juridiques, de bien les organiser et de contacter son syndicat, fédération ou union départementale à titre de conseil.