Dictatisme

vendredi 10 mai 2019
par  SUD Éduc

Un animateur d’une émission politique donnait la définition du mot terroriste en citant le Larousse, pour justifier le fait qu’une autre invitée eût pu qualifier "Les Gilets Jaunes" comme tel et expliquer les raisons qui avaient poussé le Pouvoir exécutif à mettre l’armée dans la rue.

Le discours m’étant familier, je me suis plongé dans l’histoire des régimes politiques que j’ai connus, contestés ou soutenus.

Ma mémoire, non seulement m’a conduit à la période franquiste de l’Espagne voisine mais aussi à mes engagements contre les dictatures sud américaines qui étaient la norme, fut un temps, dans divers pays du continent.

Je crois que le cas le plus parlant a été celui de l’Uruguay :

"Le 27 juin 1973 Le président de l’époque, Juan María Bordaberry, dissout le parlement avec l’appui des forces armées. Quelques mois plus tard il crée un Conseil d’État ayant des pouvoirs législatifs, avec pour objectif, de réaffirmer les principes républicains- démocratiques. Il restreint la liberté d’expression et de pensée et donne tous pouvoirs à l’armée et aux forces de l’ordre pour maintenir la continuité des services publics et l’ordre public"( Wikipédia).

A peine élu, Macron déclare vouloir gouverner par ordonnances. Le Parlement délègue donc son pouvoir de légiférer au gouvernement. Ce dernier est donc autorisé à prendre, « pendant un délai limité », des mesures qui sont normalement du ressort du Parlement… sans passer par le Parlement. Or ce délai limité devient une norme...illimitée.

Cette procédure est justifiée par le besoin urgent de réformes économiques, la défense de la démocratie contre des séditieux et la menace terroriste.

En Uruguay, mais aussi au Chili ou en Argentine, les forces de l’ordre et l’armée, avaient pour mission de combattre un ennemi qui était partout et pour y parvenir ils devaient s’entraîner à un affrontement peu conventionnel afin d’éliminer les ennemis de la nation.

Il est bon de rappeler que toutes ces dictatures furent formées aux techniques de répression, tortures, disparitions, dans des Centres d’Entraînement à la Guerre Subversive, ouverts par la France au moment de la guerre d’Algérie puis, après l’indépendance du pays, dans des centres d’entraînement nord américains.

Cet ennemi qu’il fallait “éradiquer”, le communisme, la sédition, la subversion, le psychopathe désirant déstabiliser un système pour le plaisir de la destruction, était vu comme un terroriste apatride sous “influences idéologiques extérieures”, étrangères à l’entité nationale, avec qui il n’est pas possible de dialoguer et qu’il fallait donc soumettre ou éliminer.

Depuis novembre 2018, le pouvoir exécutif a testé les méthodes habituelles pour étouffer un mouvement. A leur grande surprise, ni le caractère minoritaire des agitateurs « cela ne concerne qu’une minorité de Français », ni la culpabilisation par les témoignages d’usagers empêchés d’aller faire leurs courses, de commerçants déplorant le manque à gagner, de journalistes économiques qui expliquaient les conséquences désastreuses d’une journée de contestation , ont suffi.

Le pouvoir s’est donc vu obligé de passer au stade suivant et les gilets jaunes ont été qualifiés de racistes, d’homophobes, d’insurgés soutenus par la Russie et sa chaîne de propagande internationale RT. Le gouvernement les a présentés comme “des hordes” n’hésitant pas à les "animaliser" et à leur faire subir des traitements qu’on trouverait inacceptables s’il s’agissait d’ animaux.

Acte après acte, on a donc vu une surenchère sécuritaire : armes provoquant des blessures graves, chiens de guerre, garde montée à cheval, motards, chars anti émeutes, cannons à eau. On peut même se demander si les manifestants nassés dans un périmètre bouclé par les CRS et les membres de la BAC n’ont pas servi de cobayes pour le nouvel armement des compagnies anti émeutes.

A l’évidence, le but n’a jamais été de les contenir mais de leur donner une bonne leçon pour ne pas qu’ils recommencent.

Oui mais voilà, les habitants des campagnes sont plus aguerris que des syndicalistes sagement rangés derrière leurs banderoles.

Comme les gilets jaunes l’ont répété à l’envi, eux « n’ont rien à perdre ». Alors, le pouvoir a essayé à nouveau de retourner l’opinion publique contre eux tout en les mettant hors la loi en adoptant des lois qui, de semaine en semaine les criminalisaient.

De l’aveu même d’un membre de l’Union de la Jeunesse Juive de France, le pouvoir aurait utilisé la légitimité de l’antisémitisme pour discréditer le mouvement et le réduire à une fronde orchestrée par l’ultra droite : « L’infamie antisémite, serait la vérité de l’insurrection des ronds-points, dévoilée par trois ivrognes faisant la « quenelle » dieudonnesque dans un métro et trente beuglards ayant chanté la même « quenelle » devant les marches du Sacré-Cœur, les ivrognes parlant mal à une vieille dame juive indignée de leur crasserie, les beuglards profanant le « Chant des partisans », dont l’air volé soutient leur pornographie scandée de « dans ton cul ». De vomissures, on fait de la politique. »

A partir de là, , les mutilations, les exactions, les blessures, les violations des droits humains, les arrestations violentes, les enfermements, les vexations, les insultes, les gazages ont été non seulement justifiés mais également approuvés par certains milieux intellectuels une classe moyenne haute qui a largement profité des 30 glorieuses et dont le nec plus ultra consiste à parler des changements climatiques entre une coupe de champagne bon marché et deux canapés de saumon d’élevage.

Par ailleurs, le pouvoir politique a parlé de mouvement “protéiforme”, avec lequel “il ne pouvait pas dialoguer” “d’absence d’interlocuteurs valables” (pour l’exécutif cela s’entend), alors même que, pendant ce temps, il refusait de respecter leur fonctionnement basé sur la démocratie directe et d’organiser avec eux des entretiens enregistrés. Or, contrairement à ce que le pouvoir prétend, les revendications des gilets jaunes sont claires :

La suppression des hausses de la CSG pour les retraités, l’indexation des retraites sur l’inflation, la hausse du Smic, la hausse généralisée des salaires et minima sociaux. Cela passe aussi par la réintroduction de l’ISF et la fin du CICE.

Lors des premières manifestations, M. Castaner s’est même payé le luxe de déclarer que l’usage de la force contre les manifestants ne servait qu’à protéger les manifestants. L’État éborgnait, mutilait, fracassais des crânes, blessait, enfermait en sanctionnait pour le bien des citoyens : Le cynisme a de beaux jours devant lui.

Contre qui protège-t-on ces paisibles ruraux qui pour grand nombre d’entre eux manifestaient pour la première fois de leur vie si ce n’est contre des forces de l’ordre chargées de la sécurité intérieure ? Il suffit de regarder leurs réactions lors de la première manifestation à Paris pour s’en convaincre.

Dans une des vidéos, un ancien se penche pour ramasser un objet perdu par un CRS et s’en va le lui rendre dans un épais nuage de fumée lacrymogène.

Contre qui devrait-on protéger ce mineur à la retraite qui expliquait qu’ils commençaient le mois à découvert et le finissaient avec de la nourriture pour chiens mais que ce qu’il semblait regretter le plus était de ne pas pouvoir offrir des fleurs à sa femme, si ce n’est contre un système qui détourne l’argent de l’économie réelle pour continuer à augmenter les fortunes des plus riches ?

Si l’État se préoccupe activement de la « sécurité » des personnes et des biens de certains Français, il semble considérer que « la sûreté », qui concernait la protection des citoyens, face à l’arbitraire de l’exécutif et aux atteintes injustifiées à leur liberté, ne soit plus de mise.

Le mépris du Pouvoir « aux affaires » va donc jusqu’à déterminer, à la place d’une partie de la population, non seulement ce qui est bon pour elle, mais aussi le degré de souffrance qu’elle mérite d’endurer pour s’en convaincre et l’accepter.

Cette façon de priver les citoyens de leur capacité à appréhender leur propre condition et de légitimer la souffrance infligée, est une façon de leur confisquer le droit à la conscience sous prétexte qu’une partie du peuple, peu instruite et en décalage avec les habitants des grandes villes, manquerait totalement de jugement. Puisqu’ils n’auraient pas les facultés nécessaires pour évaluer librement une situation politique ou économique, il reviendrait à l’État de mettre en œuvre une « pédagogie de la fermeté » pour que ceux qui se prétendent « les représentants du peuple » comprennent,une fois pour toutes, que leur unique rôle est d’obéir à ceux qui décident à leur place car « c’est pour ça qu’ils les ont élus ». C’est dans cette idée que M. Le Gendre, Président du groupe LRM à l’assemblée, a donc tenu à préciser que le gouvernement aurait été « trop intelligent » et « trop subtil » pour les Gilets Jaunes.

Pour reprendre les comparaisons, dans les consignes de propagande données aux journaux Chiliens datées du 19 novembre 1973 après le coup d’État et intitulées « Préparation psychologique de la population pour contrecarrer l’action marxiste » dans la rubrique « suggestions méthodologiques » Le Pouvoir préconisait l’utilisation de formes simples d’un langage direct qui « touche directement les masses », « des phrases courtes, des idées claires et des images simples et répétées ».

Dans ses notions psychologiques de base, le document reprend : « La masse n’a que la capacité de comprendre des images claires. »

Dans certains textes sacrés des Ariens du Nord de l’Inde (qui auraient largement inspiré l’idéologie nazi) on retrouve à peu de chose près les mêmes idées. Certains philosophes qui s’y réfèrent, allant jusqu’à affirmer qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer aux basses castes certaines idées puisqu’elles étaient incapables de comprendre.

Ceci explique peut-être les discours simplistes d’une frange de la classe politique qui cherche à s’enraciner dans les couches les moins instruites de la population, pour accéder au pouvoir par les urnes.

Il a donc fallu que s’élèvent les voix de certains responsables de l’armée pour rappeler à l’exécutif que les gilets jaunes ne pouvaient pas être considérés comme des ennemis intérieurs ni des terroristes apatrides et que donc il n’était pas envisageable de tirer sur « ces nervis, ces salopards de l’extrême droite et de l’extrême gauche ou des quartiers qui viennent taper du policier », comme le suggérait l’ancien ministre de l’Éducation Luc Ferry, même si on pouvait lire dans France Soir « L’autorisation d’ouvrir le feu dans certaines conditions a été renforcée par la loi du 28 février 2017, clairement dans l’optique d’empêcher un attentat ou y mettre fin. Elle leur permet ainsi de tirer pour arrêter un véhicule, une personne qui risque -par sa fuite ou parce qu’elle vient de tenter de tuer- de perpétrer des atteintes à la vie."

Deux autres cas seraient cependant applicables à une confrontation avec des casseurs. Les militaires de Sentinelle peuvent tirer "lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui". Mais surtout, ils y sont autorisés "lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées".

En d’autres termes, si des Gilets jaunes ou des casseurs tentaient d’envahir un bâtiment public, les militaires postées en protection pourraient légitimement ouvrir le feu. Une analyse confirmée ce vendredi 22 par le gouverneur militaire de Paris, le général Bruno Leray. "Ils sont tout à fait capables d’apprécier la nature de la menace et d’y répondre de manière proportionnée", a-t-il tempéré. Je laisse le soin d’apprécier le terme “tempéré” utilisé par le journaliste qui le cite.

Gustavo Roca, affirmait qu’en Uruguay : « Le Pouvoir ne cacha pas toute cette vaste entreprise répressive mais, qu’au contraire, il la diffusa...elle était destinée de façon délibérée et consciente à semer la terreur et la peur et à empêcher, par ce biais, toute forme de contestation et de résistance ». C’est ainsi que le propre État se transforma en une entité terroriste, laissant une partie de la population sans défense. La peur, fut l’ instrument jugé le plus efficace pour discipliner la société dans son ensemble et imposer la domination des militaires et des intérêts économiques et politiques du Pouvoir.

Un dossier photographique coordonné par Inés Yujnovsky y Verónica Tell dévoile les tristement célèbres “documents de la peur”, classés top secret et confidentiels dans le Chili de Pinochet.

Ils permettent de comprendre les objectifs et les méthodes mises en œuvre par les dictatures chilienne, argentine et uruguayenne pour concevoir, concrétiser et diffuser du matériel, essentiellement des photographies, afin que la population finisse par approuver les coups d’État et les mesures de répression mises en place par les forces de l’ordre et les forces armées.

L’objectif déclaré était de venir à bout du Marxisme à travers un plan de pénétration psychologique massive.

Les auteurs de ces documents appartenaient à la Section de Psychologie de la direction des ressources humaines (l’équivalent en France des services chargés de la communication de l’Élysée et de Matignon) placés sous la direction du psychologue Hernán Tuane Escaff.

Une de ses missions était d’associer le Marxisme aux idées de violence, de pénurie, de scandale, d’ angoisse et de danger de mort ; alors qu’ils mettraient en relation, junte militaire et notions de modernité, bien être, résolution des problèmes, progrès et valeurs nationales.

Une des publications les plus significatives de l’époque fut le livre « Le Chili d’hier et d’aujourd’hui » conçu pour présenter des images en parallèle, à gauche celles du Chili d’avant le coup d’État et à droite celles du Chili d’après le coup d’État. Les premières montraient des rues dévastées, des commerces vides, les murs couverts de graffitis, des scènes de répression, des drapeaux rouges, des rues sales, des armes potentielles. De l’autre côté, les photos montraient des rues et des magasins pleins, des gens assis dans des parcs en train de lire le journal ou en train de donner à manger aux pigeons, des enfants dans des classes, les ouvriers au travail…

Difficile de ne pas comparer avec le traitement de l’information tel qu’il a été mené surtout au début du mouvement : Images des gilets jaunes dans des rues enfumées par les gaz lacrymogènes, manifestants cagoulés dépavant une avenue, vitrines cassées, rues saccagées, barricades, feux, manifestants en gilets défonçant un abri de bus…

De l’autre côté, membres des forces de l’ordre assaillis par "des hordes sauvages" et défendant coûte que coûte les valeurs de la République telles que l’arc de triomphe ou la tombe du soldat inconnu, images des Champs Élysées avec les illuminations de Noël, interviews de passants se pressant pour acheter les derniers cadeaux, pompiers en service au milieu de batailles rangées, cantonniers au travail pour nettoyer les rues au petit jour, enfants dans une classe attentifs aux explications du ministre de l’Intérieur sur l’usage du LBD40, les people qui se pressent lors de la dernière soirée au Fouquet’ s avant l’incendie .

On comprend mieux la guerre déclarée aux médias par les manifestants et par l’État.

Cette défiance des gilets jaunes envers les médias et les prises à partie violentes des journalistes de certaines chaînes de télévision ont bien entendu aussitôt été exploitées par les journaux et les télévisions des grands groupes « d’ information » pour renforcer le caractère « désordonné, incontrôlable et massif » donc anti démocratique, violent et extrémiste du mouvement.

D’après Le Parisien « Cette défiance envers les médias n’a toutefois rien d’inédite, selon l’historien des médias Patrick Eveno. « Née au Front national, elle a ensuite été exploitée par La France insoumise et on l’observe désormais un peu partout », affirme-t-il. Mais, à l’image de ce mouvement jusque-là sans tête, elle a surgi ces derniers jours « de manière désordonnée, incontrôlable et massive, et cela notamment grâce aux réseaux sociaux ». Pour parfois aboutir, dans le pire des cas, à des attaques ad hominem. »

C’est sans doute afin de relativiser le soutien populaire que depuis le début l’État annonce des chiffres de manifestants bien en dessous de la réalité, relayés par les médias qui acceptent de se ridiculiser tant l’écart avec ceux de tous les autres observateurs est énorme. On peut se demander dans quelle mesure certains journalistes n’ont pas essayé de contourner une forme de censure en montrant des images totalement en opposition avec les chiffres annoncés.

De leur côté, les forces de l’ordre s’en prennent aussi aux journalistes de certains médias devenant encombrants car témoins de leurs exactions :

Ce jour-là (le 8 décembre), le directeur de l’agence Hans Lucas a indiqué à Libération qu’une "quinzaine" de ses journalistes ont "été pris pour cible par les forces de police, soit ils ont été visés par des tirs de flash-ball ou de grenade ou se sont vu confisquer leur matériel de protection. Et ils étaient clairement identifiés avec des stickers ’presse’." (France Info)

Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, le gouvernement a continué à renforcer les lois liberticides déjà existantes votées à la suite des attentats mais surtout à généraliser les mesures anti terroristes à l’ensemble de la population. En faisant de chaque citoyen un suspect en puissance, nous sommes donc bien dans une logique paranoïaque d’une lutte sans merci contre un ennemi intérieur invisible et insaisissable, comme les black bloc, qui serait partout et prêt à tout, qu’il faudrait identifier, poursuivre et condamner en utilisant tous les moyens légaux, ou illégaux mais légalisés suivant les besoins de la logique répressive, par l’adoption de lois dans un état de constante urgence.

Cependant, la disparition des libertés publiques n’est pas que le fait de Macron. Comme le précise Pierre-Marie Meeringen, "les propositions de lois s’inscrivent parfaitement dans la continuité des diverses lois votées depuis 2013 par la précédente majorité". Le gouvernement actuel s’est contenté d’appliquer et de durcir à l’extrême les lois déjà existantes votées après les attentats alors que les législateurs avaient juré aux grands Dieux que jamais elles ne seraient mises en application hors contexte.

La prétendue vigilance du gouvernement contre le terrorisme se traduit sur le plan législatif par le triptyque : "restriction des libertés publiques, extension des pouvoirs de police, marginalisation du juge judiciaire ».

Si sous le gouvernement actuel nous avons franchi un point de non retour qui tire un trait définitif sur certains principes qui faisaient l’exemplarité de la République en matière de libertés publiques et d’expression, les premières mesures datent de bien avant.

En effet, la maltraitance des salariés de la part du Pouvoir n’est pas nouvelle. Nous vivons depuis Mitterrand une prétendue alternance politique qui ne fait que perpétuer la même logique économique par des politiciens qui se réclament de tendances politiques adverses.

Il suffit de voir les choix en matière de dirigeants des grands groupes publics ou les techniques de gestion du personnel dans les entreprises publiques ou privées pour se rendre compte que la même logique s’appliquait déjà dans divers secteurs.
La loi travail n’a fait que les officialiser et mettre les employeurs peu scrupuleux à l’abri d’éventuelles poursuites et condamnations. Réductions d’effectifs, augmentation de la charge de travail, gel des salaires, blocages des promotions, licenciements abusifs, harcèlement, pressions psychologiques, objectifs irréalisables, taches incohérentes, insultes, propos dégradants, violences verbales... ramènent le salarié à une condition d’outil de production adaptable et soumis.
Il aura fallu des vagues de suicides pour que les actionnaires et les grands patrons commencent à se demander s’il ne serait pas préférable de revenir sur certaines méthodes pathogènes qui, au fond, s’avèrent moins productives.

C’est dans ce contexte que l’ifop publia en 2016 : « Après une première étude réalisée en janvier dernier sur le suicide en France, la comparaison avec nos voisins européens révèle un triste constat. Que l’on considère le pourcentage de la population qui a déjà pensé vaguement (19%) ou sérieusement au suicide (15%), ceux qui ont fait une tentative ayant provoqué une hospitalisation (5%) ou qui ont un proche qui est passé à l’acte (30%), l’Hexagone dépasse systématiquement (et de manière significative) à chaque fois l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne. »

Par ailleurs depuis Sarkozy, ce que le Pouvoir appelle « les corps intermédiaires », ont été systématiquement soit écartés des négociations, soit discrédités. En effet, en application de la méthode tacherienne (le Royaume Uni souvent cité comme modèle est aussi parmi les plus grands consommateurs de psychotropes d’Europe), pendant des années, aucune des revendications salariales n’a abouti et ce malgré des grèves longues et des mouvements de contestation très suivis. Non seulement les travailleurs ont eu l’impression de ne plus être écoutés, mais en plus, les gouvernement successifs n’ont eu de cesse de renforcer la répression des mouvements sociaux, se dotant de nouveaux moyens « légaux » pour serrer de plusieurs crans la courroie de la muselière des représentants syndicaux ou des membres les plus revendicatifs. Dépités, résignés et à court d’argent, les salariés se sont lentement éloignés de leurs instances syndicales.

Avec le mouvement des gilets jaunes, l’État commence à réaliser ses erreurs de stratégie dans ce domaine.
Le mouvement actuel ne respecte aucune des règles établies entre les partenaires sociaux et le Pouvoir, règles qui leur sont défavorables depuis des décennies.
Attachés à la démocratie participative directe, la Gilets Jaunes appliquent, sans le savoir, plusieurs des principes basiques de l’anarchie. Ce fonctionnement est donc inconcevable et à haut risque pour un Pouvoir convaincu que la pensée unique avait fini par éradiquer ces velléités de construction d’une société utopique hors du cadre capitaliste et respectueuse de l’environnement.

Dans une émission sur France Inter, l’été dernier, un agent de la DGSI (les services secrets de la sécurité intérieure) avouait que toutes les organisations étaient infiltrées. Quand on connaît la bienveillance des gouvernements successifs envers les syndicats co-gestionnaires qui de par leur collaboration systématique rend légitime tout accord au yeux de l’opinion publique nationale et internationale, on comprend mieux l’intérêt politique de continuer à garder les salariés dans un cadre syndical à même de canaliser les contestations et d’apaiser les grognes.

Il y a peu, un ancien haut cadre de la SNCF de la génération des baby boomers, aujourd’hui à la retraite avec des revenus plus que confortables, me faisait part son indignation : « Ah, mais si les gens prétendent partir avec une retraite pleine, tu comprends, ce n’est pas raisonnable ! ». A ma question relative aux différentes réformes qui ne leur étaient jamais favorables et qui n’ont eu pour effet que de réduire les taux des pensions il m’a répondu « De toute façon, ce qu’ils touchent est juste puisque c’est légal ! ».

Donc tout ce qui serait légal serait juste et équitable et tout se résumerait donc à une question de curseur et surtout à la légitimité d’un certain Pouvoir politico- économique (aujourd’hui plus que jamais les deux semblent indissociables), pour le déplacer comme bon lui semble.

Les Gilets Jaunes ne se sont pas tous mis hors la loi mais le pouvoir exécutif et parlementaire les a tous mis hors la loi et avec eux la majorité des citoyens de ce pays qui, un jour ou l’autre auraient l’intention de s’opposer, même pacifiquement, à des mesures gouvernementales totalitaristes.

Quant on connaît le taux d’abstention et le nombre de voix qui peuvent propulser un candidat sorti de nulle part au sommet de l’État, « la sagesse » prônée par M. Macron consisterait à faire preuve d’un peu plus d’humilité, d’ouverture d’esprit et de conscience. Hélas, tout le monde ne s’appelle pas Gandhi et n’est pas capable de fédérer tout un peuple, en dépit de sa diversité et de ses différences, autour d’un projet vers un bonheur commun.

Le mouvement des gilets jaunes n’est donc pas uniquement une façon pour des populations incultes et désœuvrées "d’occuper le week-end ", c’est aussi et avant tout une prise de conscience d’une condition sociale, le refus du processus d’"animalisation" et le rejet des incohérences avérées entre les déclarations officielles et les faits. Les mensonges d’un pouvoir, qui devrait se monter exemplaire ; les illusions démasquées d’un système qui a fini par provoquer chez ses partisans (qui dénoncent les conséquences tout en entretenant les causes) un effet de dédoublement de la personnalité, la manipulation éhontée de l’opinion publique, la destruction des valeurs héritées (telles que l’honnêteté, la récompense de l’effort, la solidarité nationale, la protection des plus faibles, le respect des anciens et la confiscation des droits intrinsèques de la République) sont à l’origine de la fracture entre la majorité des citoyens et les dirigeants, qui ont besoin d’une légitimité qu’ils n’ont plus.

Après s’être attaqués aux fondements même de la démocratie en ruinant et en spoliant la Grèce qui en fut le berceau, le capital par l’entremise des hommes de Pouvoir s’attaque, sous couvert de modernisation, aux fondements même de la République : La liberté, l’égalité et la fraternité ; restreignant la première, ignorant la seconde et criminalisant la troisième, comme on a pu le voir (entre autre) avec la criminalisation de la cagnotte pour le manifestant qui avait osé répliquer aux forces de l’ordre à poings nus.

En Uruguay, après le coup d’État, la stratégie adoptée se basa sur des détentions massives, souvent dans des espaces publics à la vue de tous à titre d’exemplarité, de longues détentions et des peines lourdes pour des délits mineurs.

La stratégie répressive du régime civico- policier uruguayen se traduisit par l’ enfermement massif et prolongé de près de 6000 personnes dans 50 établissements pénitenciers et des casernes et dans près de 9 centres clandestins. Cette proportion de ce que tout le monde a appelé des “prisonniers politiques “ représente un très grand pourcentage compte tenu de la population estimée à moins de 3 millions de personnes.

Si en France nous n’en sommes pas là, les chiffres sont toutefois effrayants : En février, on comptait environ 8 400 personnes interpellées depuis le début du mouvement des « Gilets Jaunes », chiffre qui devrait approcher les 10000 fin mars, c’est à dire, l’ ensemble des habitants d’une petite ville française.

En outre, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, précisait le jeudi 14 février, que 7500 d’entre elles avaient été placées en garde à vue.

Depuis le début du mouvement, la justice a prononcé près de 1800 condamnations. Quelques1500 dossiers sont encore en attente de jugement, plus de 1300 comparutions immédiates ont été organisées et 316 personnes ont été placées sous mandat de dépôt.

Si ces chiffres sont inédits dans l’histoire des démocraties occidentales, c’est bien que la répression d’État ne vise pas uniquement des individus, mais bien la pensée qui les anime.

Cette pensée effrayante et qu’il faut à tout prix proscrire, est celle qui s’attaque aux symboles des fractures sociales et à l’indécence des vitrines pleines des boutiques de luxe que les manifestants doivent se contenter de regarder sans pouvoir y toucher, tout comme les enfants en haillons d’Addis Abeba se contentent de danser sur les airs de musique devant les grands magasins de la capitale Éthiopienne.

Le journal « Les échos » écrivait : « Des boutiques pillées ou vandalisées, les enseignes emblématiques du luxe n’ont pas été épargnées lors des manifestations des gilets jaunes près des Champs-Elysées. François-Henri Pinault, le PDG de Kering, numéro deux mondial du secteur avec ses marques Gucci, Saint-Laurent, Bottega Veneta (entre autres), a reconnu que « certains magasins du groupe avenue Montaigne avaient été impactés " par ces violences. Sur cette même artère, chez Dior, l’un des fleurons du numéro un mondial LVMH (par ailleurs propriétaire des « Echos "), le préjudice a été estimé à plus d’un million d’euros.”

Partout dans le monde on assiste aux mêmes scènes et l’incendie du Fouquet’s, qui des semaines après continue à illustrer les articles sur les sites de la presse des grands groupes, pour bien montrer l’ignominie de l’acte, a plus soulevé l’indignation des arrivistes sans scrupule, qui ne rêvent que du jour où ils pourront s’y attabler, que des habitués qui eux disposent de bien d’autres lieux dans la capitale pour cultiver l’entre soi.

Contrairement à l’idée répandue, le pillage n’a pas été la motivation première des « casseurs ». Aucune comparaison possible avec les émeutes des banlieues en 2005 qui avaient donné lieu à des pillages massifs de magasins, déclenchés par un sentiment d’exclusion sociale dans un système basé sur l’hyper consommation.

Ici au contraire, les Gilets Jaunes s’attaquent aux causes même de leur condition, au système et à ses symboles : Les Banques, les boutiques de luxe, les biens des membres du Pouvoir, les bâtiments publics …8,8 millions de pauvres, 566 personnes mortes dans la rue, environ 40 000 expropriations par an, 1000 000 de travailleurs pauvres, 12,6 millions de foyer qui vivent de l’aide sociale. 860000 personnes accueillies dans les "Restau du cœur", 10% des Français malades de "la mal bouffe", 25% des Français en découvert bancaire au moins une fois par mois et 6,7 milliards d’euro d’agios prélevés chez les plus précaires...Toute cette violence sociale, en revanche, est ignorée ou passée sous silence.

En absence de toute réponse politique, tout comme en Uruguay, pour en finir au plus vite et éviter que cela ne recommence, le Pouvoir cherche à ancrer profondément le contrôle des citoyens dans la société et la culture française et, par ce biais, à remplacer les idéaux fondamentaux de la révolution de 1789 par ceux d’un Pouvoir d’un tout autre genre. Il n’est plus question de gouvernance du peuple par le peuple mais du capital propulsé par le capital, avec le consentement du peuple qui lui donne une légitimité par le vote, mais pas dans l’intérêt du peuple mais dans celui du capital.

Les chiffres du soutien massif au mouvement parlent d’eux mêmes. Dans ce domaine, les Gilets Jaunes ont remporté une première victoire : La prise de conscience massive que les dés sont pipés et, qu’en fait, seule une poignée d’oligarques se succède au fil des élections pour imposer un système à toute une population à travers un fonctionnement législatif qui change de forme et de règles, suivant leurs convenances, avec la complicité du Pouvoir judiciaire et une répression aveugle et systématique des forces à « leurs ordres ».

Pour en revenir aux définitions, d’après Encyclopædia Universalis : « La dictature est un régime politique autoritaire, établi et maintenu par la violence, à caractère exceptionnel et illégitime. Elle surgit dans des crises sociales très graves, où elle sert soit à précipiter l’évolution en cours (dictatures révolutionnaires), soit à l’empêcher ou à la freiner (dictatures conservatrices). Il s’agit en général d’un régime très personnel ; mais l’armée ou le parti unique peuvent servir de base à des dictatures institutionnelles. »

- Dictionnaire de la politique (Hatier) : « La dictature se définit comme un régime arbitraire et coercitif, incompatible avec la liberté politique, le gouvernement constitutionnel et le principe de l’égalité devant la loi. »

- Dictionnaire culturel (Larousse) : une dictature est un « régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l’exercent sans contrôle, de façon autoritaire » et un dictateur est une « personne qui, à la tête d’un État, détient tous les pouvoirs, les exerçant sans contrôle et de façon autoritaire ; autocrate » ou « sous la République romaine, magistrat extraordinaire nommé en cas de crise grave par les consuls sur la demande du sénat, et possédant tous les pouvoirs en Italie pour six mois au maximum ».

Il est quand même frappant de constater que certains points de ces définitions pourraient s’appliquer au régime actuellement en place en France.

Si la gestion actuelle du Pouvoir répondait largement à ces définitions, on pourrait considérer que les Gilets Jaunes condamnés le sont au titre de résistants à une idéologie imposée par la force au mépris de toutes les conventions, ratifiées par la France, relatives à la liberté d’expression et au respect des droits humains. La résistance à un tel totalitarisme ne serait donc pas un droit, mais un devoir.

Pour ma part, je considère que le devoir, de tout démocrate qui se respecte, serait de demander la libération inconditionnelle des prisonniers politiques français dont le seul crime aurait été de s’opposer par tous les moyens à un système politico- économique qui les maintient dans des conditions de vie indignes, voire inhumaines, les prive de certains droits fondamentaux inscrits dans notre constitution et, comme l’ont rappelé l’ONU et l’UE, dans la déclaration universelle des droits humains et des traités européens que de telles situations ne peuvent que décrédibiliser.

Trebla Zerep