En RDC, un an après l’arrivée de Félix Tshisekedi, l’école devient progressivement gratuite

lundi 27 janvier 2020
par  SUD Éduc

L’instauration de la gratuité de l’enseignement primaire, promesse de campagne du nouveau président, s’avère moins simple que prévue.

Par Juliette Dubois et Clément Bonnerot Publié le 24 janvier 2020 à 17h00 - Mis à jour le 24 janvier 2020 à 22h34

Ce matin-là, une vingtaine d’enfants suivent le cours de biologie debout contre le mur du fond. Joseph Kabange-Mukalay hausse la voix pour se faire entendre aux quatre coins de sa grande salle aux murs fatigués, éviter que les paupières ne tombent et que les jambes ne fléchissent. « C’est très difficile pour moi de faire comprendre le cours à chaque élève, ils sont trop nombreux », explique le jeune enseignant tout juste embauché.

A Kinshasa, dans l’école de Kilimani, la directrice Moju Godelieve ne sait plus où asseoir les enfants. Elle déplore le manque « de bancs et de pupitres ». « On a déplacé les cours dans une grande salle de réunion, mais ce n’est pas suffisant : on a aussi dû diviser la classe de sixième. 85 élèves viennent le matin et une centaine l’après-midi », explique-t-elle en faisant visiter l’établissement.
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A la rentrée de septembre, 4 millions d’enfants supplémentaires ont rejoint les bancs des écoles congolaises. Ils sont issus de tous les milieux, même les plus pauvres. Une petite révolution dans ce pays continent de plus de 80 millions d’habitants car, en RDC, l’enseignement gratuit avait disparu sous l’ère Mobutu (1965-1997). Dans les années 1980, pressé par les institutions internationales de réduire ses dépenses, le pays avait rogné sur le budget de l’éducation.
Difficultés à gérer l’afflux d’enfants

Depuis, les parents mettaient la main à la poche, payant eux-mêmes une partie du salaire des enseignants ainsi que les fournitures scolaires. Et si le principe de l’école gratuite est entré en 2005 dans la Constitution, il a fallu près de quinze ans pour que cela commence à devenir réalité. Félix Tshisekedi, le nouveau président, à la tête du pays depuis le 24 janvier 2019, l’avait promis durant sa campagne.

Aujourd’hui, tout juste un an après, la mesure s’avère compliquée à mettre en place. Sans moyens supplémentaires, les établissements ont bien du mal à gérer l’afflux d’enfants. D’autant que la situation antérieure était déjà tendue.
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Selon la directrice de l’école de Kilimani, l’Etat n’a pas encore versé les frais de fonctionnement à son établissement. Dans sa classe de première, l’équivalent du CP, Namwisi Nakweti, l’institutrice, n’a plus de chaise pour s’asseoir ni d’armoire pour ranger les cahiers. Elle n’a que deux manuels abîmés pour toute la classe et regrette que « les enfants arrivent propres mais repartent sales et poussiéreux, car le sol n’est même pas bétonné. »

A l’école de Kilimani, on salue tout de même cette mesure attendue. La directrice se réjouit qu’une part des nouveaux aient déjà pu rattraper leur retard : « On voit que ceux qui n’écrivaient pas commencent à écrire, et ceux qui ne parlaient que lingala commencent à parler français ». Du haut de ses 12 ans, Chadrak dit son bonheur que « l’école gratuite » lui ait « permis d’avoir plus d’amis et de diminuer les dépenses pour les parents ».
Une réforme estimée à 2 milliards d’euros

Reste le problème des enseignants non payés. Joseph, le jeune professeur de Kilimani, fait partie des « nouvelles unités » qui n’ont pas touché de salaire depuis qu’elles ont commencé à enseigner. Chaque jour, il parcourt à pied matin et soir les 4 kilomètres qui séparent son appartement de l’école faute de disposer des 500 francs congolais (25 centimes d’euro) pour régler une moto-taxi.

Selon le ministère de l’éducation, quelque 200 000 professeurs n’ont pas encore été payés. Une moitié devrait l’être fin janvier, et ceux qui, comme Joseph, ne sont pas encore immatriculés, fin avril. Malgré tout, le vice-ministre de l’enseignement, Didier Bulimbu, reste optimiste sur le déploiement de l’école gratuite. Le coût de la réforme, estimé à un peu plus de 2 milliards d’euros, représente un cinquième du budget de l’Etat, mais reste aussi un programme phare. « C’est un effort inédit, nous allons trouver les moyens de pérenniser la réforme, explique-t-il. Nous avons signé des contrats pour construire de nouvelles salles de classe et nous nous concentrons en priorité sur les zones où il y a urgence, avec la mise en place de 300 préfabriqués, déjà, dans les prochains mois. »

Pour soutenir le gouvernement congolais, la Banque mondiale a annoncé le 20 janvier la préparation d’un projet de prêt d’un milliard de dollars (un peu plus de 900 millions d’euros) sur trois ans. Il devrait servir principalement à financer les écoles dans ce pays où 60 % de la population a moins de 20 ans.