Enseignement Supérieur et Recherche : l’expérimentation à dose létale sur Ordonnance Vidal !

lundi 5 novembre 2018
par  SUD Éduc

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 « pour un État au service d’une société de confiance », d’abord présentée comme loi sur le « droit à l’erreur », est au final un fourre-tout législatif autorisant, entre autre, le Gouvernement à prendre une série d’ordonnances dans le domaine de la loi concernant divers secteurs. Pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR), c’est l’article 52, glissé discrètement dans un chapitre II intitulé : « Une administration moins complexe » qui autorise cela.
Projet d’ordonnance largement rejeté

Le projet d’ordonnance rédigé par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a été présenté au Conseil National de l’Enseignement Supérieur Et de la Recherche (CNESER) le 16 octobre, qui l’a largement rejeté, et sera soumis à l’avis du Comité Technique Ministériel de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CTMESR) le 6 novembre. Cette ordonnance, par une série de dérogations au cadre national, permettrait aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, dont des organismes de recherche, publics et privés de se rapprocher, se regrouper ou fusionner en prenant la forme d’un « établissement expérimental » pour les 10 ans à venir. « Cet établissement expérimente(rait) de nouveaux modes d’organisation et de fonctionnement […] afin de réaliser un projet partagé d’enseignement supérieur et de recherche défini par les établissements qu’il regroupe ».

Ainsi, l’ordonnance répond aux attendus des projets d’ « universités cibles », partagés et portés par une minorité d’initié-e-s, qui ont fleuri dans tout l’hexagone depuis plus d’un an comme, par exemple, à Paris Saclay, Paris Sciences et Lettres ou encore Lyon-Saint-Etienne. Ces projets dont l’unique ambition est d’atteindre la lumière des classements internationaux dans l’espoir d’attirer, par leur visibilité accrue, les « meilleur-e-s » étudiant-e-s, les « meilleur-e-s » enseignant-e-s-chercheur/euses. Pour cela, tous les moyens sont bons : gouvernance resserrée, liens étroits avec le monde de l’entreprise et le tissu industriel, plus grande autonomie dans la gestion des ressources humaines, capacité de pouvoir choisir leurs étudiantes et de leur proposer une offre de formation à deux vitesses…

L’ordonnance apporte donc à ces projets, en réponses à leurs appels du pied, et par là-même à tous les établissements de l’ESR, une série de possibilités de dérogations au cadre national pourtant déjà bien mis à mal par les précédentes réformes (LRU, RCE, Fioraso).
Des « statuts expérimentaux » s’ouvrant à toutes les dérives

L’établissement expérimental devra ainsi, en dehors de tout cadre, se doter de statuts expérimentaux définissant notamment :
le titre, les modalités de désignation et les compétences de la personne qui exerce la fonction de chef-fe d’établissement, autorisant l’accès à la fonction aux personnalités extérieures ou issues de la sphère privée pour une durée indéterminée, potentiellement à vie (pas de limite dans la possibilité de renouvellement du mandat, dérogation à la limite d’âge fixée à 68 ans) ;
la composition du conseil d’administration, ou de l’organe en tenant lieu, et des autres organes décisionnels de l’établissement, ne prévoyant qu’un minimum de 40 % de représentant-e-s élu-e-s des personnels et des usager-e-s et faisant la part belle aux extérieurs et aux apparatchiks ;
les compétences de ces organes et celles qui peuvent être délégué-e-s au-à la chef-fe d’établissement, qui pourra ainsi concentrer tous les pouvoirs entre ses mains ;
les modalités d’inscription des étudiant-e-s, permettant la mise en place généralisée d’un enseignement supérieur à deux vitesses : d’une part, des filières d’« excellence » sélectives et onéreuses accaparant le plus gros des ressources et, par ailleurs, des collèges universitaires sans réelles perspectives pour répondre à l’objectif d’amener 50 % d’une tranche d’âge au niveau bac+3.

La liste des possibilités de dérives ouvertes par cette ordonnance ne s’arrête pas là, elle est longue et lourde de conséquences. La création d’un marché de l’enseignement supérieur et de la recherche est en marche ! Portée par la vague des réformes libérales, elle éloigne toujours plus l’Université et la Recherche publique de ce qui fait leur fondement : la liberté académique et l’indépendance.

A l’opposé de la régression profonde que représente cette ordonnance, à l’opposé de ces expérimentations brutales imposées à des établissements soumis à un flot continu de contre-réformes destructrices, à l’opposé du renforcement d’une gouvernance universitaire de plus en plus autoritaire, SUD éducation revendique un service public d’enseignement supérieur et de recherche :

ouvert et accessible à toutes et tous, y compris aux personnes en reprise d’études ;
permettant la liberté et l’indépendance d’une recherche publique au service de l’intérêt général ;
favorisant la création et la diffusion des savoirs ainsi que leur critique ;
pratiquant l’expérimentation lorsqu’elle est pensée et menée par nous-même, personnels et usager-e-s.