La colère monte dans les écoles françaises du Maroc

vendredi 22 mai 2020
par  SUD Éduc

La colère monte dans les écoles françaises du Maroc

La crise due à la pandémie de coronavirus met les parents d’élèves en difficulté pour payer des frais de scolarité toujours plus élevés, que le confinement n’a pas annulés.
A Casablanca, le 16 avril 2020. Le Maroc a décidé de prolonger le confinement jusqu’au 10 juin pour lutter contre la propagation du coronavirus et les écoles resteront fermées. Youssef Boudlal / REUTERS

La nouvelle a fini d’achever le moral des parents d’élèves. Les écoles françaises au Maroc resteront fermées jusqu’à la rentrée de septembre, comme tous les établissements scolaires du royaume, où l’état d’urgence sanitaire a été prolongé jusqu’au 10 juin. Mais il faudra tout de même débourser les sommes considérables que représentent aujourd’hui les frais de scolarité dans ces établissements prisés. Pour les parents des 43 500 élèves du réseau au Maroc – le plus dense du monde – rudement affectées par la crise économique liée à la pandémie du coronavirus, la facture est lourde et son goût amer.

« J’ai perdu mon travail, je n’ai plus de salaire. Mon mari, qui vient de créer sa PME, est déjà au bord de la faillite, nous n’avons pas de quoi payer les 51 000 dirhams (4 700 euros) de frais de scolarité du troisième trimestre pour nos trois enfants », se lamente à Casablanca Kenza, une maman de 42 ans.
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Elle fait partie des parents d’élèves mobilisés depuis le début du confinement pour demander, à coups de pétitions et de campagnes sur les réseaux sociaux, une réduction des frais du troisième trimestre, qui varient selon les établissements. Des frais alourdis pour les familles par la nécessité de s’équiper pour maintenir l’enseignement à la maison : « L’école à distance représente un coût énorme, détaille Kenza : nous avons dû acheter des ordinateurs et une imprimante, installer la fibre optique pour pallier les problèmes de connexion. Et puis, même si des efforts ont été réalisés, la continuité pédagogique reste insuffisante. »
« Baisse du niveau de nos enfants »

La grogne est d’autant plus forte que les frais de scolarité n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, atteignant les 60 % en dix ans, selon un rapport élaboré en 2019 par la députée française Samantha Cazebonne (LRM). Avec ses 375 000 élèves répartis dans 522 établissements, le réseau mondial, coordonné par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), a subi des coupes budgétaires sévères, qui se sont répercutées sur la facture des parents, en dépit d’une augmentation des bourses pour les plus défavorisés. En 2017, les mesures d’austérité décrétées par Emmanuel Macron ont par ailleurs amputé plus de 8 % les subventions à l’AEFE. Mais, dans le même temps, le président français s’est fixé pour objectif de doubler les effectifs des élèves du réseau français d’établissements à l’étranger d’ici à 2030. Une diplomatie de l’éducation qui contribue au rayonnement de Paris et veut contrer la montée en puissance des Anglo-Saxons dans ce secteur.

Pour continuer à attirer des élèves sans toucher aux crédits publics, la France a donc multiplié les partenariats et les homologations d’établissements privés en s’appuyant sur un acteur associatif, la Mission laïque française (MLF). Au Maroc, où la demande est forte, son antenne locale, l’Office scolaire et universitaire international (OSUI), scolarise aujourd’hui plus de 10 000 élèves, contre 300 à sa création en 1996. Or 88 % d’entre eux sont Marocains. « Ils ont bâti tout leur développement sur les frais de scolarité que paient les Marocains. Et maintenant, ils menacent de mettre nos enfants dehors si on ne paie pas ! », s’indigne Mounir Lazrak.

Ce père de deux enfants inscrits au lycée français Louis-Massignon à Casablanca est membre du Collectif des parents indépendants des établissements de l’OSUI, créé au début du confinement, qui revendique 1 600 adhérents. Ils reprochent au réseau de se développer au détriment de la qualité de l’éducation et de la formation des enseignants. C’est l’autre conséquence des coupes budgétaires : la suppression des postes d’enseignants détachés au profit de contrats locaux, que les parents d’élèves considèrent comme moins bien formés. Même si la Mission laïque, elle, met en avant l’efficacité des réseaux de formation qu’elle a mis en place et présente comme des modèles.

« L’école à la maison nous a fait prendre conscience de la baisse du niveau de nos enfants. Déjà qu’en temps normal ils se retrouvent dans des classes de 35 élèves !, insiste Meryem Alaoui, également membre du Collectif. Aujourd’hui, l’administration nous dit “Vous l’avez choisi, alors vous devez en assumer le coût.” Les gens pensent qu’on est des nantis. La vérité, c’est qu’on se saigne pour leur payer cette éducation parce que, vu l’état du système public marocain, on n’a pas le choix ! Ils le savent et ils jouent sur ça. »

Gel de l’augmentation de septembre

Face à la fronde, les établissements français du Royaume ont annoncé le gel de l’augmentation des frais de scolarité prévue à la rentrée. « Nous avons accordé un délai de presque deux mois aux familles pour le paiement du troisième trimestre, se défend Catherine Bellus, coordinatrice de l’OSUI au Maroc. Nous avons également mis en place un dispositif d’aide financière pour les familles les plus fragilisées. Mais, par souci de respect de la vie privée, nous avons choisi de rester discrets à ce sujet. »

Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a quant à lui lancé un plan de soutien avec un supplément de 50 millions d’euros pour les bourses et une avance du Trésor de 100 millions d’euros pour l’AEFE. « Nous avons demandé à ce que ce budget puisse aussi bénéficier aux familles non françaises et aux écoles conventionnées ou partenaires », assure M’jid El Guerrab, député de la 9e circonscription des Français de l’étranger.

Les familles craignent cependant que l’avance ne finisse par se répercuter sur les frais de scolarité. Et celles qui menacent de quitter le système peinent à se faire entendre. « Au Maroc, poursuit le député, la pression sur l’enseignement est telle qu’on va leur dire “Ce n’est pas grave : si vous partez, il y a des centaines d’élèves sur la liste d’attente pour la rentrée prochaine”. »

Ghalia Kadiri(Casablanca, correspondance)