La révolution est une question technique

dimanche 19 janvier 2020
par  SUD Éduc

Le 25 janvier à Paris, lundimatin vous invite à une journée de discussions autour de la question de l’énergie

paru dans lundimatin#225, le 17 janvier 2020

L’énergie et ses infrastructures, qu’y aurait-il de plus ennuyeux à comprendre et discuter ? Nous faisons le pari inverse, que la révolution est une question technique et que cette journée du 25 janvier au théâtre de l’Échangeur sera passionnante. Nous vous y invitons.

Un peuple se lève, se soulève. Sans en aviser les autres, sans s’en aviser soi-même parfois, on en était arrivé à exécrer un certain ordre politique, peut-être même un certain ordre cosmique. On scande le mot « ré—vo—lu—tion », on désire une révolution. Ce que l’on trouve face à soi, compact ou en débandade, c’est un ordre institutionnel, une architecture institutionnelle, et toute la stratification de discours, de rituels, de liturgies justificatoires, matérialisés par leur strict contraire : la sauvagerie policière et sa science du « maintien de l’ordre ».

Ce sont les deux mâchoires du double bind qui entend nous broyer. Qui se soulève, encourt le risque physique inhérent au combat de rue, à la répression, mais ce qui le menace le plus fondamentalement, c’est le risque de perdre pied. De perdre le contact avec la puissance tellurique qui s’est manifestée, et l’a emporté. De se laisser aspirer une nouvelle fois vers le ciel factice des spéculations institutionnelles. De se remettre à attendre que descende de l’horizon céleste une nouvelle architecture idéale du monde – attente aussi vieille, vaine et croupie que l’Église elle-même. C’est peut-être l’effet le plus néfaste, l’effet sourdement recherché de la brutalité policière et de l’impasse qu’elle dessine : nous pousser à formuler le désir d’un autre ordre du monde sous la forme d’une aspiration à la réforme des institutions, repousser l’expérience terrestre du soulèvement vers l’apesanteur spéculative d’idéalités inoffensives. Ce qu’il faut bien appeler a posteriori le délire du RIC, l’année dernière, relevait d’un tel mécanisme de compensation. A défaut de parvenir à renverser l’ordre institutionnel, on se figure une institution qui serait la négation permanente de toute institution. Aucun enracinement ne prévient, pris par le mouvement, contre pareil envol. Le défi de tout soulèvement réside, au fond, dans la capacité à garder les pieds sur terre. Rien n’est plus ardu.

C’est qu’on nous a vendu cette mystification : la politique serait le domaine où se formulent les fins, et il reviendrait à la technique de mettre en œuvre les moyens de fins souverainement décidées ; l’intendance suivra, se rassure-t-on. Mais rien ne s’est jamais passé ainsi. Nous sommes bien placés, dans cette société de part en part technologisée, pour savoir que l’intendance ne suit pas. L’intendance domine. Le pouvoir est infrastructurel parce que l’infrastructure est pouvoir. La servante est la véritable maîtresse ; et la politique se borne à tenter de rendre « acceptables » les conséquences d’un déploiement technologique hors de contrôle. Elle écope sans espoir dans les soutes, et désormais sur le pont, du Titanic de la civilisation. Les moyens dictent de manière immanente leurs propres fins. L’ordre du monde contemporain ne relève pas de la décision politique, mais du design technologique. On s’est complètement mépris sur la « question de la technique » - certainement la question la plus mal posée du XXe siècle. Un siècle de débat entre « technophiles » et « technophobes » ont achevé de nous convaincre que sa mise en scène servait seulement à faire écran entre nous et la question qu’il masque, qu’il était là pour empêcher toute saisie de celle-ci. C’est que la « question de la technique » est une question trop sérieuse pour la laisser aux ingénieurs, et aux philosophes.

Quand une civilisation parvient au terme de sa course, que son apocalypse propre devient manifeste aux yeux de tous, l’ordre du jour ne porte plus seulement sur telle ou telle décision récente, telle ou telle politique menée par tel ou tel gouvernement, mais sur les paradigmes mêmes qui la fondent. Or nul n’est plus mal armé pour s’attaquer à un paradigme, pour acquérir un peu de réflexivité sur ses propres catégories que l’ingénieur. D’où la crise de foi contemporaine des jeunes ingénieurs, qui se trouvent acculés à verdir toutes leurs utopies technologiques, afin de continuer à gouverner sous prétexte de servir. C’est que l’ingénierie n’est détentrice d’aucune solution : elle fait manifestement partie du problème. L’ingénieur est celui qui a bizarrement renoncé à son ingenium, à son génie propre. Il ne peut en retrouver le fil qu’en cessant de servir, en désertant l’ingénierie avec armes et bagages. Quant aux philosophes, ils nous sont de peu de secours : leur profession à eux, c’ est de poser des problèmes, de mettre en forme des questions ; or ce qui est à l’ordre du jour, c’est la destruction des paradigmes qui ont tout détruit, et cette tâche est paradoxalement une tâche essentiellement affirmative. Soit ce dont la philosophie est ataviquement incapable.

Pensée avec les amis de l’Amassada, la première journée « la révolution est une question technique » portera sur l’énergie. Parce qu’il faut bien commencer quelque part. Parce que cette notion en apparence si innocente contient en elle toute la mise au travail du monde propre au capitalisme et à la science moderne. Parce que « l’énergie est la seule monnaie universelle : l’une ou l’autre de ses innombrables formes doit être transformée pour réaliser quoi que ce soit », comme le résume le penseur favori de Bill Gates et figure des energy studies, Vaclav Smil. Parce que le Commissariat à l’Énergie Atomique n’a pas craint de se renommer malicieusement « Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives ». Parce que la cybernétique, la physique moderne, l’économie néoclassique, le Marx du Capital et jusqu’à la décroissance doivent tout à la thermodynamique. Parce que l’obstacle le plus sérieux à tout bouleversement politique ne tient pas seulement en France à l’ordre nucléaire, mais à l’ordre électrique lui-même, à l’organisation infrastructurelle à la fois massive et diffuse, centralisée et décentralisée, qui amène le courant jusqu’à chacun de nos interrupteurs et de nos chargeurs de téléphones portables. Parce que la question de la « transition énergétique », avec ses smartgrids, ses objets connectés et ses micro-réseaux résilients, ses « énergies renouvelables » et ses si prometteuses « alternatives » s’annoncent comme la perpétuation acharnée de la catastrophe présente. Parce que seul le courant y sera alternatif. Il nous a semblé que l’énergie n’était pas le pire point de départ pour commencer à politiser et pluraliser la « question de la technique ». Pour commencer à mener l’enquête.

Au théâtre de L’échangeur à Bagnolet, ce samedi 25 janvier, nous aurons le plaisir de rencontrer, d’ écouter et de discuter avec :

Jacques Fradin, élève de Grothendieck, Dieudonné et Althusser, membre pro-féministe de « Vive la révolution ! » (VLR), complice mineur de Gilles Deleuze, ami de Reiner Schürmann, anti-économiste redoutable qu’on ne présente plus aux lecteurs de Lundi matin,

Jean-Baptiste Vidalou, auteur d’Être forêts et impliqué à l’Amassada dans la lutte contre un méga-transformateur de RTE,

Anaël Marrec, auteur d’une passionnante thèse sur l’histoire des énergies renouvelables en France entre 1880 et 1990,

Pierre Musso, grand connaisseur de Saint-Simon et du saint-simonisme, auteur de l’excellente Critique des réseaux et de la non moins excellente Religion industrielle,

Fanny Lopez, historienne de l’architecture et auteur des époustouflantes recherches sur Le rêve d’une déconnexion et L’ordre électrique,

Alexandre Moatti, historien des sciences, animateur du blog zÉlites, auteur de nombreux ouvrages et l’un des rares membres du Corps des Mines à oser formuler le problème politique que constitue encore de nos jours ce coeur ténébreux de l’État et du capitalisme français, et plus généralement la technocratie nationale,

Judith Pigneur, spécialiste des terres rares et membre de SystEx, un groupe d’ingénieurs en lutte contre l’extractivisme,

Hauke Benner, activiste et historien de l’autonomie allemande dans sa lutte, notamment, contre le nucléaire,

La parisienne libérée, artiste, créatrice de la « météo du nucléaire », chroniqueuse en chanson du cours politique du monde et auteur du récent Le nucléaire, c’est fini,

Sabu Kohso, penseur et activiste japonais, co-auteur de « Fukushima et ses invisibles ».

La journée commencera à 10h du matin. Elle se découpera en séquences d’une heure et demi, avec des présentations de 45 minutes-une heure puis une demi-heure de discussion avec l’intervenant. Des temps de pause sont prévus entre les séquences afin de ménager un moment de rencontre et de discussion informelle, et de respirer/conspirer entre deux séquences. Il sera possible de se restaurer sur place toute la journée. Avec une pause pour le repas de midi, tout cela nous amènera à 20h. Puis nous rejoindrons, pour ceux qui le voudront, la fête de Libertalia qui se tient le même jour à quelques centaines de mètres de là à Montreuil à La parole errante.

Cette journée est évidemment gratuite de part en part. Elle se veut le début d’un cheminement, ouvert à tous ceux qui en voient le sens, vers une possible sortie de l’enfer économique.

Ceux qui voudraient plus d’information ou entrer en contact peuvent écrire à : inst.hyperion@protonmail.com