La loi est une affaire de pouvoir, pas de justice. Le droit de grève.

vendredi 31 mai 2019
par  SUD Éduc

1. Le droit de grève reconnu

Il est reconnu aux fonctionnaires, implicitement par la Constitution, explicitement par la L. du 13/07/1983, art. 10 : les fonctionnaires exercent le droit de grève dans le cadre des lois qui le réglementent.

Lors de la discussion de ce projet de loi, le Sénat avait voté un amendement ajoutant « compte tenu des exigences du service public et notamment du principe de continuité ». M. Le Pors, alors ministre de la Fonction publique, l’avait combattu en soulignant que le principe de la continuité du service public avait été, jusque là constamment invoqué pour interdire la grève aux fonctionnaires. Il a été suivi par l’Assemblée nationale qui a voté le projet tel que proposé par le gouvernement d’alors.
2. La réglementation du droit de grève des agents de l’État

Elle est intégrée dans le code du Travail. Les art. L. 521 ?2 à L. 521 ?6 du code de Travail reprennent les dispositions de la loi L. 63777 du 31/07/1963 (RLR 610 ?7c) réglementant la grève dans les services publics.

A) Champ d’application
art. L. 521 ?2 ? Les dispositions de la présente section s’appliquent aux personnels civils de l’État, des départements et des communes comptant plus de 10 000 habitants

B) Dépôt obligatoire d’un préavis
art. L. 521-3 - Lorsque les personnels mentionnés à l’art. L. 521.2 font usage du droit de grève, la cessation concertée du travail doit être précédée d’un préavis. Le préavis émane de l’organisation ou d’une des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’entreprise, l’organisme ou le service intéressé. Il précise les motifs du recours à la grève. Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l’autorité hiérarchique ou à la direction de l’établissement, de l’entreprise ou de l’organisme intéressé. Il fixe le lieu, la date et l’heure du début ainsi que la durée, limitée ou non, de la grève envisagée. Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier. L’obligation de négocier, introduite dans cet article, est dépourvue de sanction en cas de non respect. Attention : le préavis couvre l’ensemble des personnels concernés et pas seulement les adhérents de l’organisation qui l’a déposé.

C) Les grèves tournantes sont prohibées
art. L. 521-4 - En cas de cessation concertée de travail des personnels mentionnés à l’art. L. 521 ?2, l’heure de cessation et de reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé. Des arrêts de travail affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté les divers secteurs ou les diverses catégories professionnelles d’un même établissement ou service, ou les différents établissements, ou les services d’une même entreprise ou d’un même organisme ne peuvent avoir lieu.
L’absence de jurisprudence rend difficile l’appréciation effective de cette interdiction.

D) Les sanctions en cas de non-respect du code du Travail
art. L. 521-5 - L’inobservation des dispositions de la présente section entraîne l’application, sans autre formalité que la communication du dossier, des sanctions prévues par les statuts ou par les règles concernant les personnels intéressés. Toutefois la révocation et la rétrogradation ne peuvent être prononcées qu’en conformité avec la procédure disciplinaire normalement applicable. Lorsque la révocation est prononcée à ce titre, elle ne peut l’être avec perte des droits à la retraite.

E) Effet d’une grève sur les rémunérations (RLR 200-2)
La L. 87-588 a abrogé les art. 1, 2, 5 et 6 de la L. 82 ?889 du 19/10/1982 et du coup rétabli la loî de 1977 sur le service non fait ainsi que la règle du trentième indivisible

art. L. 521-6 - (. ..) L’absence de service fait par suite de cessation concertée du travail entraîne une retenue du traitement ou du salaire et de ses compléments autres que les suppléments pour charges de famille. Les retenues sont opérées en fonction des durées d’absence définies à l’art. 2 de la L. n’ 82 ?889 du 19/10/1982.

Un avis du Conseil dÉtat rendu le 5/09/1995 considère que la retenue pour un jour de grève doit s’effectuer sur le traitement brut, avant précompte des retenues pour pension civile et sécurité sociale. Jusqu’à présent, l’administration considérait que la retenue du 1/30, pour une journée de grève s’effectuait après précompte des retenues pour pension et sécurité sociale, estimant que la grève n’était pas interruptive du service. La retenue pratiquée conformément à l’avis Conseil d’État est légèrement inférieure à la retenue habituellement faite par l’administration.

Juridiquement, l’une et l’autre modalité n’ont pas le même effet : la nouvelle modalité revient à interrompre le service durant la grève. Sur les droits à sécurité sociale, l’incidence est potentiellement nulle. Sur les droits à pension, le cumulé des jours de grève peut facilement atteindre un mois et plus sur la durée d’une carrière. En sera ?t ?il tenu compte ? Nous l’ignorons aujourd’hui.
Les dispositions de l’art. 2 de la L. 82 ?889 ne restent en vigueur que pour la Fonction publique territoriale. Nous les citons pour mémoire.

L. 82-889, art. 2 - Par dérogation aux dispositions prévues à l’alinéa précédent, l’absence de service fait, résultant d’une cessation concertée du travail, donne lieu, pour chaque journée :
- lorsqu’elle n’excède pas une heure, à une retenue égale à 1/160, du traitement mensuel,
- lorsqu’elle dépasse une heure, sans excéder une demi ?journée, à une retenue égale à 1/50’ du traitement mensuel,
- lorsqu’elle dépasse une demi ?journée sans excéder une journée, à une retenue égale à 1/30e du traitement mensuel.
L’amendement Lamassoure (art. 89 de la L. 87 ?588 du 30/07/1987) a rétabli la notion du service dit « non fait » (introduite par la foi de 1977 puis abrogée par la loi de 1982 précitée).

L. 77 ?826 du 22/07/1977, article unique ? Il est inséré entre les deuxième et troisième alinéas de l’art. 4 de la foi de finances rectificative pour 1961 (L. 61 ?825 du 29/07/1961), un alinéa ainsi conçu.

Il n’y a pas de service fait :
- Lorsque l’agent s’abstient d’effectuer tout ou partie de ses heures de service ;
- Lorsque l’agent, bien qu’effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s’attachent à sa fonction telles qu’elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l’autorité compétente dans le cadre des lois et règlements.

F) Les limitations du droit de grève
Trois types de dispositions sont en question

1. - Les limitations légales
Il s’agit des limitations prévues pour certains statuts. Aucun statut de l’Éducation nationale n’est concerné. Il s’agit des magistrats, de la police, de l’administration pénitentiaire, des militaires, de la navigation aérienne, des CRS et transmissions...

2. - La procédure de réquisition
L’Ordonnance 59 ?147 du 7/01/1959 portant organisation générale de la défense la permet.

art. 6 - En cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population, des décrets pris en conseil des ministres peuvent ouvrir au Gouvernement tout ou partie des droits définis à l’article précédent.

L’art. 5 prévoyait notamment que dans les conditions et sous les pénalités prévues par la loi du 11/07/1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre, ces décrets comportent le droit de requérir les personnes, les biens et les services.

La réquisition est donc une procédure complexe et peu employée.

Il faut en effet la publication d’un décret pris en Conseil des ministres, chacun des ministres prononçant ensuite la réquisition par des arrêtés ministériels. De plus, les ordres de réquisitions (individuels ou collectifs) émanent du préfet.

3. - La procédure de désignation
Base juridique : uniquement jurisprudentielle. Il n’existe aucune base légale et réglementaire, mais une jurisprudence qui est expliquée ci ?dessous.

a) La jurisprudence de l’arrêt Dehaene du Conseil d’État
Jusqu’à maintenant la jurisprudence se fondait sur l’arrêt Dehaene. Cet arrêt est du nom d’un chef de bureau de la préfecture d’ Indre ?et ?Loire qui s’était pourvu devant le Conseil d’État pour contester la sanction infligée par le préfet : une suspension. Cette sanction prise par le préfet avait suivi une grève qui dura une semaine à compter du 13/07/1948 ; elle était faite à l’encontre de chefs de bureaux qui n’avaient pas respecté l’ordre intimé par le ministre de l’Intérieur de rester à leur poste. Le Conseil d’État statua ainsi :

« En l’absence de cette réglementation (celle prévue par la Constitution), la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d’éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ; en l’état actuel de la législation (c’était en 1950, il en est de même aujourd’hui) il appartient au gouvernement responsable du bon fonctionnement des services publics de fixer lui même, sous le contrôle du juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l’étendue desdites limitations. Une grève qui, quel qu’en soit le motif, aurait pour effet de compromettre, dans ses attributions essentielles, l’exercice de la fonction préfectorale, porterait une atteinte grave à l’ordre public. Dès lors, le Gouvernement a légalement pu faire interdire et réprimer la participation des chefs de bureau de préfecture à la grève de juillet 1948. »

b) Les limitations du droit de grève confirmées par le Conseil d’État depuis 1963
Les deux lignes dominantes résultant de l’arrêt Dehaene
- Le Gouvernement peut prendre des mesures propres à éviter un usage considéré comme abusif ou contraire à l’ordre public (notion de service minimum).
- La limitation peut s’opérer dans le cadre du pouvoir réglementaire du gouvernement, ou sous forme de circulaires ou de décisions de chefs de service.

Voici quelques interdictions de grève confirmées par le Conseil d’État qui avait été saisi.

Il s’agit essentiellement de cas de fonctionnaires dont les fonctions sont indispensables :
à la sécurité des personnes et des biens ; au bon fonctionnement des liaisons nécessaires au gouvernement ; ou qui sont chargés de fonctions d’autorité.

Cependant, le Conseil d’État, en s’appuyant sur la notion d’« ordre public » considère que la mesure de limitation ne peut avoir un caractère trop général, ou trop permanent.
Le Conseil d’État s’est réservé le droit de contrôler l’usage du droit de limiter le recours à la grève accordé au pouvoir exécutif.

Le Conseil d’État peut donc exercer un contrôle de l’excès de pouvoir en s’assurant que les limitations apportées ne reviennent pas, dans la pratique, à interdire purement et simplement l’usage du droit de grève au personnel concerné.

Le contrôle concerne à la fois l’auteur et le contenu de l’acte :
- le contrôle de l’auteur de l’acte : le juge vérifie qu’il s’agit bien de l’autorité hiérarchique habilitée à prendre une mesure destinée à réglementer l’exercice du droit de grève ;
- le contrôle du contenu de l’acte : le juge doit vérifier que l’acte est suffisamment précis et, d’autre part, qu’il est limité aux nécessités du service.
- Le texte doit être précis et l’interdiction de faire grève doit concerner des agents désignés compte tenu de la nature de leur emploi et non pas en fonction de leur place dans la hiérarchie.
- Le texte doit par ailleurs être limité aux strictes nécessités du service ; il doit concerner uniquement les services indispensables, et d’autre part le seul personnel nécessaire au sein de ces services.
- le contrôle du respect des garanties disciplinaires.

En cas de sanctions pour fait de grève, le contrôle du juge porte également sur le respect des garanties disciplinaires, même s’il s’agit de grèves pour des motifs non professionnels.

Lorsque vous êtes confrontés à ce type de problème : menaces de sanctions pour fait de grève ou mesures de désignation, prenez immédiatement contact avec votre syndicat.

c) Les personnels qui relèvent de la procédure de désignation :
- les fonctionnaires d’autorité : chef de bureau (CE 10/06/1977 précité) et chefs d’établissement (circ. du 13/05/1967) par exemple ; les directeurs d’école ne sont pas des chefs d’établissement (RM 31/01/1976, JOAM
- le personnel de service et technique strictement indispensable au fonctionnement matériel des services ; la liste est établie par le chef d’établissement (même circ.) ; elle ne doit comporter que le personnel absolument nécessaire (CE 17/01/1976 n’ 92.162).

d) Situation des élèves
Les élèves qui se présentent le jour de la grève sont accueillis, dans l’établissement du second degré, par le chef d’établissement et son adjoint, un service de sécurité étant prévu (RM 31/07/et 11/09/1971 JOAM.

Le directeur d’école maternelle ou élémentaire n’est ni un chef d’établissement, ni un fonctionnaire d’autorité ; il peut user du droit de grève.

Des réponses ministérielles contradictoires ont été fournies à ce sujet qui permettent les interprétations les plus diverses : répartition des élèves qui se présentent entre les instituteurs non grévistes ; position inverse, obligation de garder les élèves de ces classes pour les directeurs. En voici deux différentes :

RM du 20/03/1971 : « Si la surveillance ne peut plus être assurée convenablement du fait d’une grève partielle ou totale, il appartient aux directeurs de prévenir les familles intéressées que leurs enfants ne seront pas accueillis durant l’absence de leur maître. »

RM du 9/12/1978 : « Lorsqu’un préavis de grève est déposé, les familles intéressées doivent être informées, dans les meilleurs délais, par le directeur ou la directrice que leurs enfants ne seront pas accueillis à l’école durant l’absence de leur maître. Toutefois, le jour de la grève, le directeur ou la directrice doit être présent dans l’école pour recevoir les enfants qui se présenteraient et qui devraient y être accueillis. Il peut être fait appel au personnel disponible et volontaire en vue de l’organisation d’un service de sécurité pour assurer une surveillance collective des élèves. Si la surveillance risque de ne plus être assurée convenablement du fait d’une grève générale, il appartient au directeur ou à la directrice de faire appel aux maîtres grévistes, qui sont juridiquement tenus d’assurer un service de sécurité. Les dispositions indiquées ci ?dessus ont un caractère permanent et sont rappelées aux directeurs et directrices d’école, à chaque mouvement de grève en tant que de besoin, par les inspecteurs d’académie. »

Cette phrase n’a aucun fondement juridique ; les maîtres ne peuvent être ni réquisitionnés ni désignés par le directeur qui n’est pas habilité pour cela.

Une réponse du directeur des écoles à l’IA des Hautes-Alpes en date du 12/03/1989 indique que, dans le cas où certains instituteurs (au professeurs des écoles) ne seraient pas grévistes « Il conviendrait d’informer les intéressés que dans ce cas précis les instituteurs non grévistes ne peuvent être tenus d’accueillir les élèves de leurs collègues en grève puisqu’ils assurent ce jour-là le service d’enseignement normalement prévu pour les élèves de leur propre classe. »Sans remettre en cause le droit de grève des personnels enseignants, il appartient aux directeurs d’école de se préoccuper de l’accueil des enfants que les familles ne pourraient garder ou faire garder en favorisant dans toute la mesure du possible l’organisation d’un service d’accueil avec, éventuellement, la participation des services municipaux ou des associations de parents d’élèves." (réponse n’l 73 du 1210311989)

Une récente réponse ministérielle du 28/03/1996 (Questions 9661G. Tessier) a confirmé cette réponse de 1989 en la complétant comme suit : « C’est pourquoi il est demandé aux directeurs d’école, lorsqu ’aucune solution n’a pu être trouvée, ce qui peut arriver, d’informer les parents suffisamment tôt, afin qu’ils puissent prendre les dispositions nécessaires pour garder ou faire garder leurs enfants. »
Des conseils

- Tous les instituteurs (directeurs compris) sont grévistes
Si des moyens ont été mis en place par le directeur pour avertir les parents que l’école sera fermée ce jour, avec si possible talon-réponse signé, sa responsabilité est dégagée. Mais pas celle de l’État qui dans ce cas devrait prévoir un service d’accueil limité (ce que font certaines communes).
Plutôt qu’aviser sans commentaire les élèves qu’il n’y aura pas classe, nous préférons la formule suivante :
"En raison du mouvement de grève des enseignants le la surveillance des élèves ne pourra être assurée convenablement ; conformément à la réponse ministérielle du 20/03/1971, votre enfant ne pourra être accueilli en raison de l’absence du maître de sa classe.
Le... (date d’envoi) Le Directeur Vu et pris connaissance,
(signature) Les parents (signature) "
Y ajouter sur feuille séparée, le texte syndical ou intersyndical, ou même mieux, syndicat-parents d’élèves, sur les motifs de la grève. Le tout est placé sous enveloppe fermée, rédigée au nom des parents. Garder soigneusement les réponses.

- Des instituteurs sont non-grévistes
La situation est plus complexe.
Dans ce cas, même s’il est gréviste, le directeur doit être présent à l’ouverture de l’école ; il ferme l’école à l’heure habituelle ; à notre avis, il n’a pas à assurer son service de directeur, mais il reste le gardien du local scolaire et donc est responsable de ce qui s’y passe.
Restent les cas d’espèce : enfant déposé par des parents et qui ne peut être reconduit chez lui, ni gardé dans une garderie municipale ; la décision est de l’initiative du directeur ou des collègues présents.