Les modes de vie durables, une manière de répondre à la problématique sociale

mardi 29 mars 2016
par  SUD Éduc

Les modes de vie durables, une manière de répondre à la problématique sociale

Damien Carême

Grande-Synthe était un petit village côtier en 1950. Avec l’industrialisation, la population est passée de 1 600 à 25 000 habitants en vingt ans. Aujourd’hui, avec la désindustrialisation, notre problématique sociale et les modèles de développement actuels n’offrent pas de solutions pour les habitants d’ici. Depuis un certain nombre d’années, j’ai initié des projets dans la logique d’un développement durable.

Nos expériences en matière d’évolution vers des modes de vie durables

Une délibération en 2011 a acté cet engagement dans la transition écologique. Au-delà du travail de résilience avec les populations, notre objectif est de trouver des modes de vie durables où chacun puisse avoir une autonomie qui lui permette de vivre dignement. Cela passe par l’alimentaire, la mobilité, l’énergie, le logement, mais aussi par l’éducatif et la culture. Cela signifie aussi accompagner les populations au changement, ce qui n’est pas facile au vu de la problématique sociale que connaît la population de Grande-Synthe aujourd’hui : 24 % de chômage, 30 % des foyers sous le seuil de pauvreté, 25 % des foyers n’ont pas de véhicule, 30 % de familles monoparentales, un revenu médian mensuel de 982 euros. La préoccupation principale des habitants est de savoir ce qu’ils vont donner à manger à leurs enfants le lendemain plutôt que d’entrer dans la problématique de la transition.

Mon rôle et ma mission sont de proposer d’autres modes de vie, d’autres modes de faire. Ce n’est pas facile car les médias, à longueur de temps, disent l’inverse. C’est donc un travail de long terme, de proximité avec la population et de cohérence dans chacune de nos politiques. Cela passe par de multiples actions : par exemple, nous avons des jardins ouvriers qui sont à l’extérieur de la ville, qui fonctionnent toujours, depuis que la ville a été créée, et aujourd’hui, nous avons créé au pied des immeubles, des jardins partagés. Nous accompagnons les populations sur le travail sans herbicide ni pesticide, en culture biologique avec aussi des échanges de graines. Beaucoup d’habitants ont une histoire qui les relie à l’agriculture, ils connaissent ces pratiques-là. Ces jardins participent à une alimentation de meilleure qualité.

Etonnamment, le phénomène le plus important, c’est le lien social qui s’est créé autour de ces jardins partagés. Lors de notre dernière assemblée générale, 80 % des jardiniers étaient présents ! Et ils ont décidé d’aller plus loin avec des projets autour de la biodiversité, l’échange de recettes et ont proposé de mettre le surplus de leur production sur des tables aux abords des jardins partagés avec des panneaux pour inviter les gens à se servir.

Parallèlement, nous avons décidé, dès 2010, de passer les cantines scolaires à des repas 100 % bio. Si c’est bon, pourquoi s’arrêter à 20 % ! Nous avons fait des réunions avec les parents d’élèves et les encadrants des cantines scolaires. Marie-Monique Robin est venue présenter son film « Notre poison quotidien », et ensuite, nous avons expliqué que les enfants allaient mieux manger parce que c’était bio et aussi local, que cette démarche participait à la relocalisation de l’emploi, à éviter de mettre des camions sur la route. Nous avons prévenu qu’il ne faudrait pas râler en hiver quand leurs enfants mangeront de la pomme sous différentes formes le lundi, le mardi, le jeudi, etc. Nous avons anticipé les réactions qu’on a habituellement dans les cantines scolaires et avons donc indiqué que cela nous coûterait 20 % plus cher, mais que cela ne changerait pas le prix de la cantine, que c’était vraiment pour la santé des enfants.

Qui subit la malbouffe aujourd’hui ? Les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer une bonne alimentation et c’est exactement le cas pour notre population. Avec tout ce que cela entraîne derrière : impacts sanitaires, problèmes de santé, renforcés par le fait que la plupart n’ont pas les moyens d’avoir une mutuelle… c’est un cercle infernal !

Autre exemple, dans le cadre d’une université populaire que nous avons mise en place il y a huit ou neuf ans, nous avons créé, de la cadre d’une « Fabrique de l’autonomie », des ateliers de confection de produits ménagers à base de produits naturels. Aujourd’hui, 250 familles sont venues se former à la confection de ces produits naturels qui coûtent moins cher et qui ne contiennent pas de produits chimiques. Nous allons proposer à un personnel en reclassement professionnel de confectionner ces produits pour nos équipements et nos services.

Nous avons, depuis trente ans, un centre d’expression manuelle, espace où il y a de grosses machines à bois à disposition de bénévoles passionnés de la menuiserie, qui accompagnent les habitants qui viennent confectionner des meubles.

Aujourd’hui pour donner de l’ampleur à la dynamique de la société du partage, nous travaillons sur un projet d’« accorderie », véritables ateliers de réparation. Sur le principe d’un échange de bonnes pratiques, des bénévoles mettent leur savoir-faire à disposition et accompagnent ceux qui veulent réparer vélo, appareils électroménagers… En complément, un site Internet va bientôt permettre d’organiser le prêt de matériels (perceuses….) entre les habitants.

Nous commençons juste à construire un écoquartier qui comprendra 500 logements en 2020. Nous avons beaucoup travaillé sur cet écoquartier avec des groupes de travail sur le transport, la biodiversité, l’architecture, l’énergie, l’eau, et un groupe avec des habitants, que j’ai appelé spécialistes habitants, sur l’usage. Nous sommes allés visiter des écoquartiers dans d’autres pays européens. Des habitants ont participé à ces voyages, ils ont pu discuter, comprendre que c’est, ce que cela veut dire, quels modes de vie on y trouve.

Voici quelques exemples d’actions très concrètes. A chaque fois, nous travaillons avec la population pour montrer que ces changements de mode de vie vont leur apporter des bénéfices sur les plans sanitaire, économique, social.

La problématique énergétique

Pour la consommation électrique de la ville (écoles et services), nous sommes passés à 100 % d’énergie électrique issue des énergies renouvelables. Nous avons également 28 % de la consommation de gaz qui provient d’une unité de méthanisation à côté de Lille. D’autres unités vont ouvrir dans les prochains mois, nous serons très vite à 100 % de gaz « vert » sur la commune. Dans quelques semaines, nous installerons des panneaux d’informations dans les écoles pour dire qu’elles sont chauffées et éclairées grâce à des énergies renouvelables, dans une optique de responsabilisation des habitants. Nous informerons aussi les parents de la qualité de l’air intérieur et des ondes électromagnétiques

Avec la communauté urbaine et la région Nord-Pas-de-Calais, nous sommes en train de mettre en place une SCIC (Société coopérative d’intérêt commercial) qui sera aussi ouverte aux habitants qui voudront se fournir et investir dans les énergies renouvelables. Véritable centrale d’achat, elle facilitera les démarches, les branchements.

Même en matière de changement climatique, on le sait, les premières victimes sont les gens les plus précarisés, les plus pauvres. C’est pour nous une manière de répondre à une problématique sociale : cela permet aux personnes de continuer à vivre dignement malgré les difficultés socio-économiques qu’ils rencontrent.

Prise de conscience et action locale

Je suis maire de Grande-Synthe depuis 2001. Je suis en partie responsable de la qualité de vie des habitants. Au fur et à mesure que j’essayais de développer des solutions, de me renseigner, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas beaucoup de choix. De plus, il y a urgence. Un maire a finalement beaucoup de pouvoir. Par exemple, les élus locaux décident de l’occupation du sol, de savoir si l’on utilise les terres agricoles pour faire de petites maisons sur des terrains de 500 m2 ou si l’on fait un habitat dense et en laissant la nature présente en ville. De nombreuses réponses aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui dans notre société sont entre les mains du pouvoir local.

Certes, nous venons de recevoir 500 000 € dans le cadre de l’appel à projets « Territoire à énergie positive pour la croissance verte » lancé par le ministère de l’Écologie. 200 collectivités ont reçu cette labellisation. Cependant, beaucoup de nos projets ne coûtent pas grand-chose : jardins partagés, accorderie, chevaux en ville, etc. Passer au gaz vert et à l’électricité verte revient un peu plus cher, mais si les collectivités faisaient toutes cet effort, les coûts pourraient baisser. C’est la même chose pour les cantines scolaires bio, avec une même demande de tous les maires de l’agglomération, par exemple, nous pourrions obtenir de meilleurs prix. Donc j’y suis venu petit à petit jusqu’au moment où il y a eu cette prise de conscience qui est née de rencontres, de discussions avec des personnes, d’échanges de solutions, et comme j’ai le pouvoir de mettre en œuvre un certain nombre de choses, j’ai décidé d’y aller. Et cela sur tous les domaines, parce que la transition ne fait sens qu’en l’appréhendant globalement.

J’aimerais voir une déclinaison plus systématique des modes de vie durables à l’échelle de la France, mais aujourd’hui, je ne vois pas les responsables politiques nationaux prendre ce virage-là et c’est à mon grand regret. Parce que cela voudrait dire qu’on réglemente toute la publicité, qu’on mette l’argent sur des modes de production différents.
Il n’y a rien qui empêche les collectivités de se lancer dans les mêmes modèles que ce que nous développons petit à petit en nous inspirant d’expériences d’ici ou d’ailleurs.
Cela veut dire prendre des distances par rapport au discours politique et cela va à contre-courant.

Au départ, quand j’ai dit à mes élus que je voulais remettre des vaches et des moutons en ville, quand j’ai dit qu’on allait mettre des chevaux pour ralentir la vitesse… C’est peut-être des symboles, mais c’est important. Ce n’est rien, un cheval, on le paye 3 000 €, 2 000 €/an de fonctionnement, c’est moins cher qu’un tracteur et cela change plein de choses dans la ville.

Je n’ai pas encore tout mis en œuvre, mais je n’ai pas eu trop de freins. Ce qui est un peu compliqué, c’est la monnaie locale car c’est plus technique à mettre en œuvre. Ce qui a été magique, c’est le lien social créé par les jardins partagés.

Les blocages que j’avais pu rencontrer sont liés, par exemple, au code des marchés publics. Certes, nous devons faire attention à l’utilisation de l’argent public, mais comme c’est au niveau local que nous allons trouver des solutions pour l’avenir, il faut qu’on puisse expérimenter des choses qui sortent du champ de ce qui a déjà été codifié dans le Code des marchés publics, dans le Code général des collectivités territoriales, etc. Il faut également aller voir ce qui se passe ailleurs. C’est ce que nous avons fait pour notre écoquartier. Je me suis rendu en Suède, en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, etc.

Damien Carême est Maire de Grande-Synthe (Nord) depuis 2001. Il est également Vice-Président de la Communauté urbaine de Dunkerque, délégué à la transformation écologique et sociale de l’agglomération (environnement, transport et énergie) et Conseiller régional Nord-Pas-de-Calais.
Président de la commission Aménagement du Territoire, Environnement, Plan Climat, Tourisme. Il a été élu en 2014 président de l’Association des Maires des Villes et Banlieues. Son blog : http://www.damiencareme.fr

Hopkins R., Manuel de Transition, de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Les éditions Écosociété.
Laurent E., Social-écologie, Flammarion.
Bourg D. et K. Whiteside, Vers une démocratie écologique, La république des idées, Seuil.
Rabhi P., Vers la sobriété heureuse, Actes Sud.