Lettre ouverte : L’instruction en famille est un droit

vendredi 26 juin 2020
par  SUD Éduc

Dans une lettre ouverte adressée à la Défenseuse des enfants et au Défenseur des droits, le collectif Libres Apprenants du Monde (LAM) dénonce les contrôles inopinés du personnel de l’Education nationale, au sein du domicile des familles avec la levée du confinement. Selon le collectif, ces contrôles académiques qui font suite à l’application de la loi « pour une école de la confiance », seraient intrusifs et potentiellement traumatisants pour les enfants et les familles.
Lettre ouverte à Madame Geneviève AVENARD, Défenseure des Enfants et Monsieur Jacques TOUBON, Défenseur des Droits.

Comme vous le savez, en France, l’instruction est obligatoire, mais pas la scolarisation. Certaines familles choisissent donc de prendre elles-mêmes la responsabilité de l’instruction de leurs enfants et de ne pas les scolariser. Elles pratiquent l’instruction en famille (IeF). C’est une liberté constitutionnelle. Les motivations peuvent être variées et sont bien loin des caricatures de radicalisation ou de repli communautaire et sectaire souvent présentés : volonté de respecter les rythmes de l’enfant, souhait de mettre en œuvre une pédagogie particulière, phobie scolaire, voyage au long cours, problème de santé ou simple choix de vie de la famille font ainsi partie des multiples raisons avancées par les familles. Qu’il s’agisse d’un choix ou d’une solution de secours face à une situation personnelle difficile, l’instruction en famille est un droit.

L’instruction en famille n’a pas fait l’objet d’études poussées en France, mais d’autres pays occidentaux ont mené des analyses : toutes montrent que les résultats académiques des enfants instruits en famille sont d’un très bon niveau et que leurs compétences sociales sont nettement meilleures que celles des enfants scolarisés. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter pour ces enfants dont les parents assurent l’instruction.

Les familles françaises non scolarisantes sont malgré tout suivies par les institutions. En effet, ces familles subissent chaque année un contrôle de leur académie et, tous les deux ans, un contrôle de la mairie. Le contrôle académique vise à vérifier l’instruction donnée aux enfants. Le contrôle de la mairie cherche à connaître les raisons de pratiquer l’instruction en famille, l’organisation de la famille, et les éventuels problèmes de santé des enfants. Les familles sont donc surveillées de près. Depuis plusieurs années, les modalités de ces contrôles se durcissent et l’instruction en famille est régulièrement attaquée par de nouvelles mesures législatives ou réglementaires qui rognent ce droit des familles.

Les contrôles académiques effectués par l’Éducation nationale sont souvent un moment redouté et difficile pour les familles. En effet, nombreuses sont celles qui se retrouvent face à un inspecteur ou une inspectrice hostile à leur choix d’instruction en famille ou ne comprenant tout simplement pas leur démarche Dans ces contextes, les contrôles peuvent se révéler traumatisants pour les enfants : mise en échec volontaire, séparation non souhaitée d’avec les parents, humiliations et vexations, souvent injustifiées, quant au niveau de l’enfant, menaces de second contrôle ou de scolarisation forcée, etc., sont des pratiques auxquelles l’institution a recours sur des enfants parfois très jeunes (Les contrôles de l’instruction en famille concernent les enfants dès l’âge de 3 ans depuis la dernière loi « école). Certains inspecteurs ou inspectrices utilisent leur mission de contrôle comme un outil de coercition à l’encontre des familles dont ils et elles désapprouvent les choix de vie.

Toutefois, malgré tous les dispositifs de contrôle et de pression déjà à disposition de l’État, la loi du 28 juillet 2019 dite « pour une école de la confiance » vient de resserrer encore son étau sur cette liberté déjà malmenée. Un décret du mois d’août 2019 lui fait suite, qui incite désormais les personnels de l’Éducation nationale à procéder à des contrôles de façon inopinée au domicile des familles.

Depuis la levée du confinement, les contrôles reprennent dans la plupart des académies, avec cette menace qui pèse donc de nouveau au-dessus de la tête de chacun. Concrètement, cela signifie qu’à tout moment de la journée une personne inconnue peut sonner à la maison et venir interroger un enfant (peut-être même sur des sujets qu’il n’a pas encore abordés), avec à la clef le droit ou non de poursuivre la vie telle qu’elle a été choisie en famille. Les familles, traitées comme des délinquants potentiels, ne peuvent se soustraire à cette irruption sous peine de se voir accuser d’un « refus de contrôle » qui mènerait à une injonction de scolarisation pour les enfants.

Si l’on compare avec la situation des personnes scolarisées ou travaillant au sein de l’Éducation nationale, il y a quelques parallèles intéressants à faire :

aucun élève aujourd’hui ne serait interrogé par surprise, par une personne inconnue, sur un sujet qu’il n’a peut-être jamais étudié jusque-là, en suivant des méthodes qui ne correspondent peut-être pas à celles suivies lors de ses apprentissages, et avec un risque d’être renvoyé de son établissement scolaire si on estime ses résultats insuffisants ;
les professeurs, quant à eux, ne connaissent pas les interros surprises. Ils subissent trois entretiens de carrière durant toute leur vie professionnelle (et pas un par an !). Ils ont tout le loisir de préparer cette inspection dès les vacances d’été de l’année précédente puis sont avertis de la date précise du rendez-vous un mois à l’avance.

Les familles ayant choisi d’apprendre en dehors de l’école n’ont pas cette chance : parents et enfants doivent se tenir prêts, chaque jour, à voir surgir une ou plusieurs personnes inconnues chez eux, qui les évalueront et détermineront si leur choix peut être maintenu. Alors que leur foyer devrait être uniquement un lieu de sécurité, les voilà sous la menace constante de l’intrusion d’un agent de l’État qui va les juger, les évaluer, et peut-être les sanctionner !

Peut-on imaginer mesure plus liberticide et intrusive ? Peut-on imaginer mesure plus effrayante et potentiellement traumatisante pour les enfants ? Vous qui avez montré combien l’institution pouvait être violente avec les enfants dans votre rapport intitulé « Enfance et violence : la part des institutions publiques », n’oubliez pas le cas des enfants instruits en famille !

Nous souhaitons le retrait immédiat de la possibilité de contrôle inopiné dans les familles. Nous vous demandons, Madame la Défenseur des enfants, Monsieur le Défenseur des droits, de déclarer publiquement et officiellement votre opposition à une telle pratique, qui fait violence aux familles et tout particulièrement aux enfants.