Montpellier : Acharnement policier et judiciaire contre une observatrice de la LDH

dimanche 9 février 2020
par  SUD Éduc

Beaucoup de mensonges pour une double relaxe
paru dans lundimatin#227, le 31 janvier 2020

D’expérience, nous avons souvent tendance à partir du principe que la justice a pour rôle fondamental d’entériner les actes de police (on vous épargne la petite vidéo d’archive de Michel Foucault au tribunal qui dit tout cela très bien mais que nous avons déjà beaucoup trop publiée). Il arrive cependant que cette dernière, confrontée peut-être à des énormités tellement vulgaires qu’elles en deviennent inassumables, choisisse de ne pas croire la parole policière et démontre une certaine indépendance. La chronique judiciaire que nous publions ici nous a été transmise par le coordinateur de la Legal Team de la section de la Ligue des Droits de l’Homme de Montpellier. Sa longueur et son souci du détail permettent de prendre la mesure de ces petits et gros mensonges policiers censés justifier la répression judiciaire du mouvement des Gilets jaunes, pris dans sa définition la plus large. La personne visée ici par l’acharnement policier n’est autre qu’une observatrice de la Ligue des Droits de l’Homme. Bonne lecture.

Le jeudi 12 décembre 2019, Camille Halut, membre de la Legal Team de la LDH-Montpellier, comparait pour la deuxième fois devant le tribunal correctionnel de Montpellier, cette fois en formation collégiale. En effet, déjà poursuivie le 1 octobre 2019 pour « entrave à la circulation », mais en formation de juge unique, elle a été relaxée le 3 octobre. Lors du rendu de son délibéré, le juge le motive oralement sur l’audience. Il explique que la procédure dont a fait l’objet Camille Halut a été montée de toute pièce pour incriminer celle-ci au regard de deux éléments en particulier. D’une part, il ressort du dossier qu’elle a d’abord été identifiée par des policiers avant qu’une infraction ne lui soit reprochée, alors qu’une enquête pénale classique suppose que l’infraction soit d’abord constatée avant que son auteur soit recherché puis poursuivi. D’autre part, le juge précise avoir intégralement regardé l’enregistrement audiovisuel produit par les policiers. Et, alors que le procès-verbal d’exploitation indique qu’il est visible qu’elle bloque la circulation sur la voie autoroutière où s’était rendue le samedi 6 avril une partie de la manifestation des Gilets Jaunes, il n’a rien constaté de tel, la circulation étant déjà bloquée lorsqu’elle s’est rendue sur la voie. Il conclut qu’elle n’a commis « aucun acte autre que celui d’observer » et prononce la relaxe. Le Parquet s’est bien gardé de relever appel et la décision est donc définitive.

Cette fois, elle est convoquée en justice le 22 septembre 2019 pour avoir à Montpellier :

1. le 21 septembre 2019, volontairement dissimulé son visage, sans motif légitime, lors d’une manifestation sur la voie publique accompagnée de troubles ou risques manifestes de troubles à l’ordre public ;

2. le 21 septembre 2019, seule et sans arme, opposé une résistance violente à Monsieur BUIL Patrice, commissaire divisionnaire de police, dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions pour l’exécution des lois ;

3. le 22 septembre 2019, alors qu’il existait des indices graves et concordants rendant vraisemblable qu’elle ait commis l’une des infractions visées à l’article 706-55 du code de procédure pénale, refusé de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à permettre l‘analyse et l’identification de son empreinte génétique.

Et, pour faire bonne mesure, le Parquet l’a fait citer également le 25 novembre 2019 pour

4. entre le 21 et le 22 septembre 2019, refusé de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, notamment prise d’empreintes digitales, palmaires ou de photographies, nécessaires à l’alimentation et à la consultation des fichiers de police, alors qu’il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner la commission d’un délit.

Avant tout débat au fond, le tribunal examine d’abord les conclusions de nullité déposées par les avocats de la défense, Mes Michel TUBIANA et Alain OTTAN, et développées à la barre par ce dernier.

La garde à vue est nulle car les conditions d’interpellation n’ont pas été respectées, à savoir qu’elles ne mentionnent pas les noms des agents interpellateurs. Il y a ensuite un défaut d’impartialité, et donc atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure, dans la mesure où le commissaire BUIL est identifié comme victime alors que l’enquête est menée par ses subordonnés. D’autant que celle-ci a été menée uniquement à charge, sans recherche de témoins autres que les policiers ni de vidéos consultables sur Internet prises par des personnes présentes lors de l’interpellation, compte tenu des dénégations de la prévenue. En outre les déclarations du commissaire « justifiant » l’interpellation sont contredites par le brigadier GAUBEL cité à la procédure comme témoin. Il n’existe en conséquence aucun indice réel ou apparent d’un comportement délictueux de Camille HALUT au moment de son interpellation, laquelle ne peut donc qu’être qualifiée d’ « arbitraire ».

Le procureur fait mine de balayer ces objections. Il rappelle qu’est mentionné dans le PV d’interpellation un numéro matricule correspondant à celui des agents verbalisateurs, et pour le reste se contente de se draper dans les grands principes selon lesquels le Parquet est indépendant, instruit à charge comme à décharge et valide ou non le travail de la police : au regard des prescriptions du code de procédure pénale. Regards amusés dans l’assistance…
Le commissaire BUIL prête serment de dire la vérité, toute la vérité

Le président décide de joindre l’incident au fond et appelle Camille HALUT à la barre.
Il l’interroge pour connaître sa position au vu des faits qui lui sont reprochés en reprenant les termes du procès-verbal d’interpellation dressé à son encontre. Il en ressort que la manifestation qui réunissait au départ 3 à 400 personnes aurait « dégénéré » dès 14h45 : jets de pétards, fumigènes, insultes. D’après le commissaire BUIL, alors qu’il est positionné avec ses hommes à l’angle de la rue de la Loge et la Place des Martyrs de la Résistance, où se situe la Préfecture, il constate « plusieurs individus avec le visage dissimulé et casqués et, parmi eux, une personne féminine porteuse d’un casque rouge, d’un masque à gaz couleur bleu et blanc ainsi que d’une paire de lunettes, le tout ne me permettant pas de voir son visage ». Il se rapproche alors d’elle d’un pas rapide, lui fait une remarque sur le fait qu’elle le filme et lui demande de lui remettre son matériel de protection pour « vérification », affirmant agir « selon les ordres du procureur » et qu’un récépissé lui sera remis, mentionnant en outre qu’elle lui donne alors un, puis ensuite plusieurs coups de pied.

Appelée à réagir aux termes de ce PV, elle l’infirme totalement : « Cette personne savait pertinemment qui j’étais. En manifestation, les haut gradés de la police m’appellent quasiment tous par mon nom et mon prénom. En tant qu’observatrice de la LDH, je porte ce matériel uniquement pour me protéger lorsqu’il y a des gaz, comme c’était le cas à la gare vers 15h. C’est le seul endroit où j’ai eu le masque, sinon il est autour de mon cou… Une heure après à la préfecture je n’avais pas le masque. C’était calme ; il restait moins d’une centaine de personnes. Je conteste avoir eu le visage dissimulé et je conteste tout coup de pied… On va voir les vidéos ; il y en a quatre… Au moment de mon interpellation, j’étais en train de filmer une scène se produisant justement derrière le cordon de police, à savoir l’interpellation de deux personnes avec fouille de leurs sacs. »

Cité comme témoin par le Parquet, le commissaire BUIL est alors appelé à la barre et prête serment de dire la vérité, toute la vérité. Se prévalant des ordres du procureur de procéder à des contrôles d’identité et de saisir les masque de protection contre remise d’un récépissé, il « voit Madame HALUT à quelques mètres. Je ne la reconnais pas car elle n’a pas le même casque. Elle a un casque gris mais je ne sais pas si elle a une cagoule qui cache son visage. » Sur interrogation du président, il admet l’ « avoir reconnu très vite » et concède, poussé dans ses retranchements, qu’elle portait le masque « sur le bas du visage »…et qu’il n’était donc pas dissimulé ! S’engage alors, d’après lui, « un dialogue de sourds ». Il la saisit par le bras pour l’emmener derrière le cordon de CRS pendant qu’elle martèle de façon répétitive et d’une voix de plus en plus stridente, après avoir dit « Ne me touchez pas » : « Je suis observatrice de la Ligue des Droits de l’Homme. Je refuse de donner mon matériel de protection. »

Pour BUIL, cela signifie une volonté manifeste de se soustraire au contrôle. Alors que dans le PV, il prétend qu’elle le pousse et lui porte plusieurs coups, il n’évoque plus à la barre qu’un seul coup de pied « qui n’était pas une violence volontaire contre moi ; j’étais plus outré que touché », se faisant aussitôt reprendre de volée par Me TUBIANA : « Mais vous parlez dans le PV d’une résistance violente qui a déterminé les poursuites ! » Appelée à réagir, Camille HALUT évoque un geste inventé, voire « une mise en scène », la vidéo montrant bien d’après elle qu’au moment où il prétend qu’elle le pousse et lui porte plusieurs coups, le commissaire met sa main droite près de son visage et fait un mouvement de tête vers la droite. Tête basse du dit commissaire…

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