Récidive. 1938, Michaël Fœssel, PUF, 180 pages, 15 euros.

vendredi 7 juin 2019
par  SUD Éduc

Le fond de l’air effraie

À bien les renifler, les incommodants effluves de notre époque ne sont peut-être pas tout à fait autres que ceux de 1938.

Il faut lire absolument le passionnant (et gravement flippant) dernier bouquin (1) de Michaël Fœssel, philosophe, qui s’est immergé, jusqu’à la nausée, dans les journaux français de 1938. Et qui est assez vite arrivé – il le dit dès la page 24 – au constat que cette année terrible n’avait pas été « seulement » celle « des reniements internationaux » que l’on sait, mais « aussi celle de l’emploi systématique des décrets-lois (l’équivalent de nos ordonnances) par le gouvernement, de la répression massive des grèves, d’une politique de plus en plus hostile aux étrangers et de l’élection de Charles Maurras à l’Académie française ».

Et certes : on peut postuler – ou à tout le moins espérer – avec lui que « la répétition à l’identique », dans la France de 2018, de ce qui a été préparé dans celle de 1938 est « impossible ». Mais on peut aussi se montrer moins uniment confiant dans la certitude que l’histoire ne repasse pas ses plats.

Car notre époque est bel et bien (2) celle de l’emploi régulier (dans lequel MM. Hollande et Valls, préparant le terrain pour leurs successeurs, se sont naguère illustrés par leur particulière opiniâtreté) des ordonnances par le gouvernement (qui en use même, dorénavant, comme nous venons de le découvrir, pour la préparation de la restauration de Notre-Dame de Paris).

Celle de la répression massive (dix ans après que M. Sarkozy avait décrété que « désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ») des mouvements sociaux.

Celle d’une politique de plus en plus hostile aux migrantes (et aux musulmanes, dont le sort médiatique rappelle souventes fois celui que la presse réactionnaire faisait aux juifs il y a cent ans).

Puis encore : celle, aussi, où, Alain Finkielkraut, nonobstant ses hideuses imprécations altérophobes, a été élu à l’Académie française. Celle où le ministère de la Culture a très sérieusement planifié de commémorer la naissance de Charles Maurras. Celle où, dans l’Élysée, Emmanuel Macron, chef de l’État français, a personnellement remis la Légion d’honneur à l’écrivain islamophobe Michel Houellebecq. Celle où un éditocrate gonflé d’incompétence éclate d’un rire obscène quand un élu du PCF lui parle, dans un débat télévisé, des résistants communistes fusillés par les nazis.

Celle d’où montent donc, pour résumer, d’incommodants effluves, qui ne sont sans doute pas exactement les mêmes qui empuantissaient l’atmosphère de 1938 – mais qui, à bien les renifler, ne sont peut-être pas non plus tout à fait autres : se rappeler alors, avec Michaël Fœssel, qu’« en 1938 rien n’était inéluctable », et qu’« aujourd’hui », de nouveau, « tout est à reprendre ». Vite.

(1) Chroniqué par Olivier Doubre dans le n° 1547 de Politis.

(2) Dans le contexte international d’une montée de ce qu’il est convenu d’appeler pudiquement – et nonobstant qu’ils ressemblent très fort à des fascismes, éventuellement relookés – les « populismes » d’extrême droite.