Réforme des retraites : l’interminable dévalorisation du métier de professeur

mercredi 11 décembre 2019
par  SUD Éduc

Le cortège des enseignants boulevard Magenta, à Paris, lors de manifestation du 5 décembre contre les retraites. Photo Lucile Boiron pour Libération
Combien de temps encore les professeurs accepteront de vouer leur vie au savoir, sans considération ni de leur salaire, ni de leur retraite, ni du mépris social qu’ils subissent ?

Tribune. Je suis né en 1959. Heureusement pour moi, je ne devrais pas être concerné par la future réforme des retraites. Professeur en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), je me mets rarement en grève eu égard à l’intérêt de mes élèves. Je serai pourtant en grève mardi parce que la réforme à venir dégrade de manière insupportable la condition matérielle et morale de professeurs dont notre République avait su pourtant, par le passé, faire son avant-garde.

Du ministère aux syndicats, des journalistes aux premiers intéressés, s’il y a un point de la réforme des retraites qui semble faire l’objet d’un accord unanime, c’est que les professeurs en seront les « grands perdants ». Faute d’être calculées, comme c’est le cas actuellement, sur les six derniers mois d’activité, leurs pensions de retraite devraient baisser considérablement, selon les cas, entend-on, de 300 à 900 euros par mois. Dans une lettre aux professeurs en date du 3 décembre, Jean-Michel Blanquer espère les rassurer en affirmant que le gouvernement, je cite, « s’est engagé à ce que la mise en place du système universel s’accompagne d’une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants que pour des corps équivalents de la fonction publique ».
Paupérisation

Outre que la formule manque de précision (il y a différents grades parmi les professeurs), la promesse paraît difficile à croire : si l’on introduit une péréquation salariale pour qu’aucun enseignant ne perde un centime du fait de la réforme, il faudra le faire pour tous les perdants, mais qui peut croire à une réforme qui ne ferait que des gagnants ? Supposons qu’une revalorisation salariale ciblée permette aux professeurs de ne pas voir leurs pensions de retraite diminuées par la réforme, il n’en demeure pas moins qu’il est parfaitement scandaleux, car c’est bien à quoi revient « l’engagement » gouvernemental, de conditionner une – ô combien nécessaire – revalorisation de la fonction enseignante à une baisse des pensions de retraite.

Il faut ici rappeler les conclusions de l’étude (université de Paris-I Panthéon-Sorbonne) de Btissam Bouzidi, Touria Jaaidane et Robert Gary-Bobo sur le traitement des enseignants français de 1960 à 2004, je cite : « le pouvoir d’achat des agrégés du secondaire, des maîtres de conférences et des professeurs des universités a baissé d’environ 20% en 25 ans, de 1981 à 2004. Cette baisse est due à la décroissance de 15% de la valeur réelle du point d’indice sur la période. Les 5% restant sont dus à l’alourdissement des cotisations sociales et de la CSG ». Les certifiés ne sont pas en reste : en 2012, un professeur en fin de carrière gagnait 2,7 fois le SMIC contre 4,8 fois en 1976 !
Mépris social

Quel corps de métier supporterait pareille paupérisation ? Comment les professeurs ont-ils pu accepter une baisse de leur pouvoir d’achat de cette ampleur et comment est-il possible que dans le même temps les gouvernements successifs aient unanimement prétendu que les traitements des enseignants ne cessaient d’augmenter ? L’explication de ce mystère tient en trois mots : glissement technicité-vieillesse. Partant de très bas, les rémunérations des professeurs augmentent régulièrement jusqu’à la fin de leur carrière.

Or, dans la période considérée, une très grande partie des professeurs sont des baby-boomers qui voient donc leur rémunération augmenter régulièrement, tandis que le point d’indice sur lequel elle est calculée, stagne et voit sa valeur réelle baisser du fait de l’inflation. Le départ à la retraite des baby-boomers, leur remplacement par de jeunes professeurs en début de carrière, donc moins payés, aurait constitué sans aucun doute une occasion historique de revalorisation des carrières enseignantes sans trop maltraiter les finances publiques. Hélas, il n’en a rien été. L’ampleur de la dette publique a servi, au contraire, d’argument à un gel du point d’indice dans la fonction publique depuis maintenant dix ans, qui a encore aggravé la condition des professeurs.

Les professeurs ne sont pas seulement les grands perdants de la réforme des retraites, : ils sont aussi – du fait de leur nombre – les grands perdants de la politique salariale dans la fonction publique depuis maintenant près d’un demi-siècle. Ils rejoignent la cohorte de ces travailleurs sociaux – je pense aussi à la fonction publique hospitalière – qui sont méprisés par une société qui continue cyniquement de compter sur leur dévouement. Bien sûr, il y aura encore, après la réforme, des professeurs qui accepteront de faire de longues études, de vouer leur vie au savoir, sans considération ni de leur salaire, ni de leur retraite, ni du mépris social qu’ils subissent de la part d’une République qui devait au contraire les honorer. Mais pour combien de temps ?

La réforme des retraites est le dernier en date des coups bas portés au métier de professeur dont elle parachève la dépréciation. La coupe est pleine.